Comment réussir le défi de la souveraineté alimentaire ?
La souveraineté alimentaire a fait l’objet d’un grand débat ce mardi 18 mai, dans le cadre de la semaine de l’Agriculture française. Presque quatre heures de discussions ont eu lieu autour de cette notion complexe dont la définition apparaît souvent équivoque.
« La souveraineté alimentaire, c’est une trajectoire politique », a indiqué Sébastien Abis, directeur du club Demeter et chercheur associé à l'Iris. « Sans vision politique, il n’y a pas de souveraineté alimentaire », a-t-il précisé. Julien Denormandie, en introduction du débat, a mentionné quatre dépendances, comme autant de freins à cette souveraineté alimentaire. Dépendance aux importations, aux systèmes de production ne respectant pas les normes françaises, au changement climatique et, enfin, au fonctionnement des marchés.
L’agriculture française en perte de vitesse
En toile de fond de ce débat était le constat d’une perte de compétitivité de l’agriculture française, avec des chiffres qui donnent le tournis. La balance commerciale est de plus en plus déficitaire pour certains aliments comme les fruits et légumes. En 2019, la France a importé 59 % des fruits qu’elle a consommés, conséquence directe de la disparition de près de 40 % de son verger ces vingt dernières années. La production porcine française, quant à elle, a baissé de 7 % en 10 ans alors qu’elle a augmenté chez les pays voisins – de plus de 30 % en Allemagne. Par ailleurs, environ un tiers des produits biologiques consommés en France sont importés.
« Nous sommes aujourd’hui le 6e exportateur mondial de produits alimentaires, alors que nous étions le 3e il y a 10 ans », a rappelé le ministre de l’Agriculture. Sébastien Abis a toutefois tenu à nuancer cette vision alarmiste : « Même si le solde commercial se comprime, il reste excédentaire, et le poids de l’agriculture et de l’agroalimentaire progresse dans le rayonnement économique français ».
Comment réussir le défi de la souveraineté alimentaire ?
Ce grand débat a mis en exergue les priorités politiques. Tout d’abord, la lutte contre la distorsion de concurrence. « Aujourd’hui, nous consommons en France des produits qui ne respectent pas les normes de production françaises », s’est indigné Dominique Chargé, président de la Coopération agricole. L’ensemble de la profession agricole a appelé de ses vœux la création de clauses-miroirs, « un besoin vital » selon Sébastien Windsor, président des chambres d’agriculture. Et si cette réciprocité doit être appliquée entre l’Europe et les pays tiers, elle doit aussi exister au sein du marché unique européen, dans un contexte où les normes françaises se situent encore un cran au-dessus de celles de l’Europe.
Le revenu des agriculteurs a également été évoqué. « Les agriculteurs en ont marre d’être dans une dynamique de projet sans jamais avoir de retour de valeur sur leur exploitation », a indiqué Samuel Vandaele, président des Jeunes Agriculteurs. Un revenu décent est aussi gage d’attractivité du métier d’agriculteur. Car si l’agriculture est un métier de passion, les agriculteurs vivent de leurs revenus, ont rappelé à juste titre les intervenants. Dans son allocution finale, Emmanuel Macron a d’ailleurs admis que « les négociations commerciales telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui ne sont pas satisfaisantes ». Aussi, une « loi Egalim 2 » doit être débattue à l’Assemblée nationale en juin. « L’objectif est que cette nouvelle loi soit votée par nos parlementaires avant les prochaines négociations commerciales », a indiqué le chef de l’État.
D’autres sujets ont été abordés comme la nécessité de réindustrialiser l’agriculture française, notamment en investissant dans la transformation de proximité. L’exemple des pommes de terres françaises transformées en chips en Belgique a été plusieurs fois cité comme une aberration au cours du débat. L’importance de l’organisation des filières a aussi été pointée du doigt. « Certaines sont déjà très bien organisées, d’autres devront l’être plus », a souligné Christiane Lambert, présidente du Conseil de l’agriculture française.
Ce débat a le mérite d’avoir rappelé les grands défis que doit relever l’agriculture française. Mais aussi de confirmer que les agriculteurs seuls ne peuvent faire face à autant de responsabilités. François Bayrou, haut-commissaire au plan, a d’ailleurs appelé à la création d’un « plan Marshall de reconquête et de défense de l’agriculture ». « Il en va du devenir de la nation toute entière, pas seulement des agriculteurs », a-t-il prévenu.