Politique et société

Accord Mercosur : les jeunes agriculteurs argentins y sont tous favorables

Les représentants des sections jeunes des quatre grands syndicats agricoles argentins, alliés depuis 2008, sont, sans surprise, tous favorables à l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur. 

 

Accord Mercosur : les jeunes agriculteurs argentins y sont tous favorables

Les quatre grands syndicats agricoles possèdent chacun leur propre section "jeunes". Point de JA donc, mais des groupes de jeunes militants encadrés et actifs aux quatre coins du vaste pays sud-américain. À l’instar de leurs aînés, ils forment une alliance syndicale nationale appelée « Table ronde » (voir encadré).

Leur cheval de bataille est la réduction du niveau de la taxe prélevée sur les exportations de soja, de blé et de grains de maïs. À cet égard, le traité de libre-échange entre l’UE et le Mercosur semblait, il y a peu, secondaire.

Jusqu’à ce double coup de tonnerre : l’annonce de la fin des négociations par la Commission européenne faite par sa présidente, Ursula Von der Leyen, le 6 décembre dernier, à Montevideo, puis, dans la foulée, la promesse du président argentin, Javier Milei, d’éliminer cette fameuse taxe à l’export de grains concernant les embarquements à destination de l’Europe, et ce, une fois l’accord de libre-échange ratifié ! Le sujet a immédiatement pris une autre dimension.

D’où l’intérêt de sonder le terrain auprès de cette relève déjà à la manette d’exploitations agricoles. Disons-le tout de suite, les sections jeunes de ces quatre syndicats sont plus des centres de formation pour les 20-25 ans que des structures de pouvoir. 

Juan Castro, 28 ans, vice-président du groupe Ateneo de la Société rurale argentine (SRA). Ici photographié à Buenos Aires.

« C’est un signal positif »

Première rencontre près de la Bourse aux céréales de Buenos Aires où il a son bureau, avec Juan Castro, 28 ans, vice-président du groupe Ateneo de la Société rurale argentine (SRA). Il travaille dans le secteur des phytosanitaires, dans une entreprise familiale qui détient aussi un élevage allaitant à Balcarce. Il y est entré en tant que sociétaire au début de cette année.

« La SRA est un groupe d’éleveurs fondé à Buenos Aires en 1866, rappelle-t-il. À l’époque, le cuir était prisé sur le marché européen, puis le bœuf s’y est ajouté… Son ouverture à l’export est à l’origine même de sa création, ça fait partie de son ADN. »

Autant dire que Juan est franchement pour l’accord UE-Mercosur. L’annonce du 6 décembre à Montevideo le réjouit. « C’est un signal positif ». Toutefois, il n’est pas dupe.

« En Argentine, on se souvient de l’annonce faite en 2019 par notre ministre des Affaires étrangères de l’époque, ému aux larmes en annonçant au président de la République d’alors que voilà, c’était fait, l’accord de libre-échange avec l’UE était entériné… », se rappelle-t-il en souriant.

Mais la récente annonce de Mme Von der Leyen est d’un autre genre, qu’il prend davantage au sérieux. Car cette fois, le but semble atteignable. « L’application de l’accord avec l’UE provoquerait un choc positif pour la filière du bœuf. En Argentine, sa consommation baisse, d’où notre besoin d’incorporer de nouveaux marchés. Notre cheptel bovin n’a pas évolué depuis un demi-siècle, autour de 54 millions de têtes », indique-t-il.

« Outre l’aspect commercial, cette affaire comporte un volet institutionnel fondamental pour nous, Sud-Américains, qui vivons dans une région où la démocratie peut vaciller, comme récemment au Venezuela : s’adosser à l’Europe solidifierait de facto nos institutions en établissant avec elle des ponts permanents sur divers plans », affirme Juan Castro.

 

Luciano Miñola, le directeur Jeunesse de la Fédération Agraire Argentine (FAA). Ici à Rauch, sur son exploitation d’élevage de broutards.

« Les éleveurs européens ne devraient pas craindre la concurrence sud-américaine »

Luciano Miñola, directeur Jeunesse de la Fédération agraire argentine (FAA), laquelle défend les intérêts des chef(fe)s de petites et moyennes exploitations, est du même avis. Lui qui engraisse à l’herbe 65 broutards sur 45 hectares à Rauch, au cœur de la région pampéenne, juge que : « Nous gagnerons avec cet accord de libre-échange, car le prix du bétail en Argentine est souvent bradé, alors que notre bœuf est prisé partout dans le monde ! Nous attendons de cet accord une meilleure rétribution de la part des industriels, afin d’investir en équipement pour produire plus de viande aux normes européennes. L’empreinte carbone neutre de nos systèmes d’élevage est facile à prouver, mais cela a un coût. Nous voulons être payés pour cela. C’est ce que j’ai dit à Rome, en mars dernier, au siège du Fonds international de développement agricole ».

Il ajoute que si la FAA est favorable à cet accord de libre-échange, « c’est dans la conviction qu’il bénéficiera surtout aux petits producteurs de spécialités régionales de l’Argentine provenant des Andes et de la Patagonie notamment, comme les fruits à pépins, la viande d’agneau, les agrumes, le riz, l’huile d’olive et le quinoa ».

Selon lui, « les éleveurs européens ne devraient pas craindre la concurrence sud-américaine. D’une part, la qualité du bœuf argentin tend à tirer les prix en rayon vers le haut. D’autre part, en Argentine, on vient d’essuyer une sécheresse historique, et puis notre cheptel est décapitalisé, et enfin la consommation de bœuf par habitant est à son plus bas historique, alors que notre marché intérieur capte 80 % des volumes ! [...] Non, il n’y aura pas de raz-de-marée de bœuf argentin en Europe », jure-t-il.

Mauricio Petrucci, le président du groupe Ateneo de Buenos Aires du syndicat CARBAP , affilié à CRA.

« On doit d’abord reconstruire notre cheptel »

Même son de cloche chez CRA, le syndicat agricole majoritaire. Mauricio Petrucci, président du groupe Ateneo de Buenos Aires du syndicat CARBAP[1], affilié à CRA, va à la fac de Sciences Po de l’Université catholique argentine de Buenos Aires. Dans deux ans, son père n’étant plus de ce monde, il deviendra le patron d’une exploitation d’élevage mixte de 400 hectares de terres fertiles. « Mon cas est particulier », admet-il.

Pour lui aussi : « La méfiance des éleveurs français vis-à-vis des importations européennes de bœuf argentin est infondée. On doit d’abord reconstruire notre cheptel, puis retrouver auprès de nos compatriotes un niveau de consommation autour de 80 kg de bœuf par an et par habitant, comme au début des années 1990 (aujourd’hui, il a chuté à 47 kg par habitant, NDLR). Après seulement, nous penserons au marché européen », analyse-t-il.

L’avocate Florencia Sozzi est membre de la commission directive des Jeunes de Coninagro. Ici à Buenos Aires.

« Nous voyons cet accord UE-Mercosur d’un bon œil »

Celle qui parle au nom des jeunes de Coninagro est une avocate de Mendoza, Florencia Sozzi, 30 ans, co-gérante d’un domaine vitivinicole propriété de sa famille. Cette cave andine est associée à la coopérative Fecovita, elle-même affiliée à Coninagro.

« Nous voyons cet accord UE-Mercosur d’un bon œil, dit Florencia. Notre marché s’agrandirait d’un coup. La particularité du secteur viticole est son immense variété de produits. Les caves d’Argentine et de France vont chercher des marchés de niche à haute valeur ajoutée de part et d’autre de l’Atlantique ». Pas de compétition, donc même si, reconnaît-elle non sans se contredire, « l’application du traité de libre-échange nous obligera (les vignerons argentins, NDLR) à nous mettre à la page au niveau réglementaire et à ajuster nos coûts pour faire face à la concurrence européenne ». Elle sait de quoi elle parle. Sa coopérative est leader du marché argentin sur le segment des vins bas de gamme vendus en carton sous la marque Toro.

Une autre raison explique leur adhésion unanime à ce traité de libre-échange : la promesse d’avoir accès à des intrants importés de qualité et bon marché. « Des semences, des serres ou encore des pick-up de marque allemande…, énumère Mauricio Petrucci (CRA), nous en avons besoin et cela favorisera l’économie européenne ».

[1] Confédération d’associations rurales des provinces de Buenos Aires et de La Pampa, affiliée aux Confédérations rurales argentines.

[2] Confédération d’associations rurales des provinces de Buenos Aires et de La Pampa, affiliée aux Confédérations rurales argentines.

Un front syndical agricole uni depuis 16 ans

La révolte historique des agriculteurs argentins en 2008, opposée à un décret du gouvernement d’alors qui visait à rehausser le niveau de la taxe à l’exportation de fèves de soja, a forgé leur union syndicale nationale baptisée Table ronde (Mesa de enlace, en espagnol). Depuis lors, elle tient. Car, la taxe aussi demeure à un niveau élevé. Aujourd’hui encore, la valeur d’un vraquier chargé de soja sur trois tombe dès sa liquidation à la douane dans les arcanes du Trésor public argentin.

Les quatre principaux syndicats agricoles sont : la CRA, la FAA, la SRA et la Coninagro.

La conservatrice Société rurale argentine (SRA), qui représente un millier de patrons de grands domaines d’élevage, se retrouve ainsi alliée à la Fédération agraire argentine (FAA), qui défend la cause des petits fermiers.

Les deux autres syndicats sont les Confédérations rurales argentines (CRA), sans doute le plus représentatif du secteur, car issu des associations rurales de chaque canton agricole du pays, et la Confédération inter-coopérative agricole (Coninagro).