La réalité économique du projet d’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur
La ratification de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur aiguise toutes les colères agricoles de cet automne. Quelle réalité économique cache-t-il ?
Ce projet d’accord de libre-échange prévoit d’accorder à l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay, pays membres du Marché commun de l’Amérique du Sud (Mercosur), des contingents de produits agricoles à droits de douane réduits. Ce sont 99 000 tonnes équivalent carcasse (tec) de viande bovine (55 % en viande fraîche, 45 % en congelé) à 7,5 % de droits de douane ; 180 000 tec de viandes de volaille, moitié-moitié entre de la viande avec os et de la viande désossée (droit nul) ; 180 000 tonnes de sucre réservé au Brésil plus 10 000 tonnes pour le Paraguay ; 60 000 tonnes de riz à droit nul ; 1 000 tonnes de maïs doux (droit nul) et 45 000 tonnes de miel à droit nul.
Une opposition des agriculteurs français
« Tous les aliments importés doivent être conformes aux normes de l’UE, explique Vincent Chatellier, ingénieur de recherche en économie de l’Inrae. Néanmoins, l’accord ne contient pas d’exigences quant aux modes de production dans les pays du Mercosur (alimentation des animaux, médicaments vétérinaires, bien-être des animaux ou utilisation de produits phytosanitaires). » Ces volumes supplémentaires, moins chers qu’en France de 40 % et produits selon des normes interdites en Europe, nourrissent légitimement l’opposition frontale des organisations agricoles (dont Jeunes Agriculteurs), des partis politiques français -ils ont débattu à l’Assemblée nationale sur le sujet mardi 26 novembre- et de l’exécutif.
Des volumes en baisse, mais des valeurs en hausse
Cependant, l’Europe importe déjà des matières agricoles du Mercosur. L’an passé, elles ont représenté 12,5 % des importations agricoles de l’UE (23,7 milliards d’euros). Il s’agissait d’oléagineux (46 % du total), de café, thé et cacao (15 %), de la viande bovine (6 %), des préparations de fruits et légumes (5 %), céréales (5 %), fruits (4 %), viande de volailles (3 %) et du sucre (2 %). En produits animaux, l’UE a acheté en 2023 au Mercosur 194 000 tec de viande bovine (57 % de ses importations sur ce produit) et 324 700 tec de viande de volailles (33 % de ses importations). Des volumes en baisse significative comparativement à la période 2000-2010, « mais en hausse en valeur, notamment en viande bovine », souligne Thierry Pouch.
Selon le chef économiste de Chambres d’Agriculture France, l’UE en a acheté pour 1,5 milliard d’euros en 2022 contre 745 millions d’euros en 2000. « Aujourd’hui, ce sont des produits à plus haute valeur ajoutée qu’auparavant qui pourraient intéresser la restauration hors domicile (RHD), impactant ainsi les bassins allaitants en France dans un contexte de baisse de la consommation dans l’Hexagone : 33 kilos par an et par habitant en 1980 contre 22 kilos en 2021 […] Ces contingents à droits de douane réduits pourraient également fragiliser la filière sucrière, ajoute-t-il, notamment en France où « certaines sucreries sont en difficulté ou ont fermé ». Le constat est le même en miel, moins en riz et en maïs doux.
« L’agriculture ne doit plus être sacrifiée »
S’il était ratifié, cet accord conforterait le débouché européen du Mercosur, son second marché (15 %) derrière la Chine (27 %), devant le continent africain (8 %) ou encore les États-Unis (4 %) et l’Inde (3 %). Pour l’Union européenne, une ouverture plus grande du marché sud-américain profiterait avant tout au secteur industriel (automobile, chimie, textile…), dont les produits exempts de droits de douane seraient plus compétitifs. Pour JA comme pour la FNSEA, « l’agriculture ne doit plus être sacrifiée et considérée comme une variable d’ajustement pour conclure les accords commerciaux internationaux. Au contraire, l’agriculture doit être protégée et considérée comme l’un des principaux secteurs stratégiques européens ».