Sur le terrain

La transformation, le savoir-faire de Jean-Baptiste Gibert

Depuis son installation en 2016, Jean-Baptiste Gibert, 37 ans, révolutionne la ferme familiale en faisant de la transformation. Très engagé syndicalement, il a assumé la fonction de président des Jeunes Agriculteurs de Tarn-et-Garonne pendant trois années.

Jean-Baptiste tient son exploitation dans la commune de Sainte-Juliette (Tarn-et-Garonne).
Échange entre Claude et son fils dans la demeure familiale, première ferme acquise par les Gibert en 1820.

En 1820, les ancêtres de Jean- Baptiste Gibert ont acquis un lopin de terre de trois hectares afin de pratiquer une agriculture de subsistance. Cent ans plus tard, les premières parcelles de fruits ont été plantées par son arrière-grand-père. Puis, l’avènement de la mécanisation a permis de donner à ces terres un nouvel objectif, économique cette fois. Des vignes ont ensuite été plantées pour produire du vin en ferme coopérative. C’est lorsque Claude Gibert, le père, s’est installé au milieu des années 80 qu’il a décidé de remplacer les vignes à vin par des raisins de table. « Une culture qui avait de l’avenir à l’époque », déclare-t-il aujourd’hui. De 1985 à 2000, le père de Jean-Baptiste agrandit la superficie de la ferme, de 48 à 140 hectares.

En 2000, il commence à réfléchir à une conversion en agriculture biologique. « Le système conventionnel ne me plaîsait plus, je ne m’y retrouvais pas », explique Claude qui produisait des semences, du maïs et de la betterave en conventionnel. « Je ne faisais pas le métier que je voulais ! C’est pourquoi j’ai commencé par convertir une trentaine d’hectares, puis ensuite l’intégralité de l’exploitation en 2006 », précise-t-il. Au début, le grand-père de Jean-Baptiste prenait son fils pour un fou, lui disant qu’il allait revenir 40 ans en arrière, que les engrais et produits phytosanitaires leur avaient permis de vivre jusqu’ici.

Chez les Gibert, l’esprit d’innovation habite chaque nouvelle génération. Jean-Baptiste, qui travaille sur une soixantaine d’hectares au sein de la ferme, a introduit une activité de transformation dans le but de valoriser les productions. « C’était ma volonté. De par mes études et mes compétences de transformateur industriel, je souhaitais amener plus de valeur ajoutée à l’exploitation », précise le jeune agriculteur.

« En bio, on est plus maître de notre production »

« Le bio est le mode de production qui me convient, atteste Jean- Baptiste, car j’ai le sentiment qu’en agriculture biologique, on est plus maître de notre production. Le travail d’agronomie m’intéresse beaucoup ». Pourtant, petit, le JA ne se voyait pas faire comme son père. « Ça ne fait pas rêver un enfant de voir ses parents galérer, de ce fait, je me destinais à travailler dans l’industrie alimentaire », confie-t-il. C’est après le passage de Claude en agriculture biologique que son fils l’a vu plus heureux. C’est à ce moment-là qu’il prit la décision de le rejoindre et de mettre ses connaissances universitaires à disposition de la ferme familiale. Ensemble, ils mettent en place un projet de transformation agricole à travers lequel Jean-Baptiste s’est installé en 2016. « Aujourd’hui, je ne me vois pas faire un autre métier qu’agriculteur et toutes ses activités annexes, qui me permettent de trouver un équilibre. Si l’on ne travaillait pas en bio, l’exploitation ne m’aurait pas intéressé », avoue aujourd’hui Jean-Baptiste à son père. « Il y a trouvé son intérêt », rétorque Claude. Au fil des vingt dernières années, cette conversion en bio n’a cessé de progresser, marquée par une valorisation croissante des productions. « Nous avons réduit de moitié la surface de l’exploitation. Entre 2015 et 2020, nous avons créé quatre emplois à la ferme, alors que nous n’étions que deux dans les années 90 », fait savoir Claude.

L’occasion fait le larron

Chez les Gibert, l'esprit d'innovation habite chaque nouvelle génération.

En 2013, Jean-Baptiste, encore étudiant, était venu prêter mainforte à son père, alors confronté à une attaque de mildiou. Malgré leurs efforts, ils ont accusé cette année-là une perte considérable de la production de raisins de table. L’événement a été un déclencheur pour Jean-Baptiste. Fort de ses études en biologie et en transformation industrielle, il a voulu faire de ce coup dur une opportunité. « J’ai partagé avec mon père le constat qu’il serait dommage de ne pas transformer les fruits en jus », se souvient-il. À l’écoute, Claude accepte de mettre en place avec son fils un atelier de transformation des raisins.

« La première production a été un succès, avec la vente de près de 2 000 bouteilles de jus de raisins en trois mois », se rappelle le père. Cette réussite réveille chez Jean-Baptiste de nouvelles envies, lui qui jusqu’ici ne souhaitait pas entreprendre une carrière agricole. Il va ainsi s’impliquer de plus en plus dans les activités de l’exploitation. Et en 2016, Jean-Baptiste décide de s’installer. Depuis, il s’investit pleinement dans la ferme et en particulier dans l’activité de transformation à échelle semi-industrielle.

Un produit final « attrayant et différent »

Depuis une année, Doriane, la cadette de la famille, s’occupe de toutes les tâches administratives de l’EARL et de la boutique à la ferme.

« On a vraiment réfléchi notre produit pour le rendre attrayant et différent »

Aujourd’hui, Jean-Baptiste assure la transformation des produits avec sa sœur Doriane. Après la sélection variétale, il s’applique à la maturité de ses fruits. Ce qui lui permet d’obtenir un meilleur jus après pressage. « On a vraiment réfléchi notre produit pour le rendre attrayant et différent. Et on ne met rien d’autre que le produit de l’extraction du jus, d’où notre appellation « pur jus » », tient à préciser Jean-Baptiste. Hormis le raisin de table, Jean- Baptiste achète tous les autres fruits chez des adhérents d’un groupement de producteurs dont il est le président. Les pommes qui représentent son plus gros volume d’achat et de transformation viennent de Castelmayran, à 30 km de son exploitation. C’est chez un JA producteur de pommes qu’il achète une partie de sa production. « Si celui-ci traverse une année compliquée, ça ne me dérange pas d’acheter ses pommes à un prix au-dessus de celui du marché. J’ai cette démarche pour tous les produits que j’achète à l’extérieur, explique Jean-Baptiste. Une baisse sur le prix d’achat des matières premières pour mon unité de transformation n’est jamais une priorité. […] J’aurais plus tendance à augmenter mon prix de vente qu’à baisser mon coût d’achat en matières premières. » La fraise, le kiwi, les céréales, tous proviennent de producteurs locaux situés dans un rayon de 30 km.

45 000 bouteilles vendues par an

Jean-Baptiste est sur un volume de 40 à 45 000 bouteilles vendues par an.

Le produit fini est entreposé dans de grands palox* contenant chacun 450 bouteilles. Cette étape est suivie par le processus d’étiquetage et de mise en cartons. Les bouteilles en verre sont fournies par l’entreprise Conservor et produites en Italie. Elles sont toutes consignées : une initiative écoresponsable adoptée par l’EARL. Cette démarche leur a permis de remporter des contrats dans le secteur de l’hôtellerie qui mettent en avant des jus issus de bouteilles consignées. « On est sur un volume de 40 à 45 000 bouteilles vendues par an, informe Jean-Baptiste, toutes vendues par la société de mon frère aîné basée à Toulouse ». Cette dernière assure la distribution dans les magasins Biocoop, les primeurs indépendants toulousains et récemment chez des traiteurs. « C’est ce qui nous a permis de pallier la crise du bio. Nous n’avons pas perdu notre volume de production, ce qui est une belle victoire ».

 

* Grande caisse pour contenir des fruits et légumes et dont la base est une palette.

Vente directe

Jean-Baptiste pratique presque à 100 % ce mode de commercialisation. « Tant que j’arrive à écouler ma production, je n’ai pas besoin d’un intermédiaire pour vendre à très grand volume. » Exception faite avec un distributeur. « Je vends une partie de ma marchandise à l’Intermarché de Lauzerte (Tarn-et-Garonne), afin de la proposer aux habitants de la région. » 

Une boutique à la ferme

Claude, Doriane et Jean-Baptiste Gibert devant la boutique qui propose les produits de l’EARL.

Pendant 40 ans, son grand-père s’adonnait au commerce en plein air. Jean-Baptiste et son père ont tenté de suivre ses traces, mais n’ont pas connu le même succès : « Nous ne possédions pas le même talent que lui, ce qui explique le manque de réussite », atteste Jean-Baptiste. Aujourd’hui, ils ont adopté une approche différente, en ouvrant une boutique à la ferme dénommée Jade de Métou. « En embauchant ma sœur, nous avons estimé qu’il était nécessaire d’ouvrir une petite surface de vente sur notre exploitation », complète le JA.

Cette boutique propose les produits de l’EARL en vente directe, tels que les raisins de table en saison, l’ail et l’oignon. S’ajoutent également « quelques produits que mon frère a dénichés aux alentours de notre domaine, comme du vin de l’appellation Coteaux-du-Quercy, provenant d’un producteur situé à 10 km d’ici, de l’huile de noix et des noix venant du Lot voisin ». La boutique sert ainsi de point de vente à d’autres agriculteurs de la région.

Des investissements nécessaires

En 2018, l’EARL des Gibert a effectué des investissements dans les équipements et les installations de production. « En acquérant cette machine, notre principale préoccupation était d’atténuer la pénibilité du travail, explique Jean-Baptiste, étant donné que le fait de fermer plus de 25 000 bouteilles par an devenait pénible. À l’époque, il y avait deux postes à temps plein au sein de l’exploitation », poursuit-il. Avec l’accroissement du volume de production, il était devenu impératif de franchir un palier en passant à une production assistée par des équipements industriels. À cela s’est ajoutée l’installation de panneaux solaires d’une capacité de 100 kilowatts sur le toit d’un hangar.

Transformer de la moutarde, son prochain projet

L’innovation est chère à la famille Gibert. Jean-Baptiste ne souhaite pas s’arrêter aux activités de transformation de jus et de soupe. Actuellement, il réfléchit à de nouvelles productions à transformer. « Nous prévoyons d’entreprendre une étude sur la culture de la moutarde, de différentes variétés de courge et sur la sélection variétale », indique Jean-Baptiste, en vue de produire pour des marchés de niche. En ce qui concerne la culture de la moutarde, les Gibert ont déjà commencé les recherches et envisagent de passer bientôt à l’étape des semis. « D’ici un an, nous aurons les premières récoltes de moutarde du Quercy, caractérisées par un subtil mélange d’argile et de cailloux », déclare Jean-Baptiste.

Un JA au grand cœur

« J’ai été amené à rejoindre le réseau Solaal (association de dons alimentaires) par le biais de JA, car c’est une cause qui me touche. » Chaque année, Jean-Baptiste collecte des produits qui approchent de leur date limite et les remet à Solaal qui se charge de les distribuer à des associations caritatives partout en France. Économiquement, ce don lui permet de défiscaliser la valeur totale de ses produits. « Mon aversion pour l’injustice est profonde, ce qui justifie mon engagement précoce dans les activités syndicales et caritatives. Nous refusons catégoriquement toute forme d’injustice et sommes prêts à nous retrousser les manches pour les résoudre », affirme le JA. Une approche qui s’aligne avec sa philosophie d’achat, et avec ses activités annexes, telle que son engagement syndical. « C’est ainsi que l’agriculture prend toute sa splendeur, et c’est de cette manière qu’elle pourra prospérer », souligne-t-il.