Innovations

Vers la reconnaissance automatisée des pucerons ?

En Angleterre, un logiciel développé par des chercheurs permet de distinguer différentes espèces de pucerons à leur vol.

puceron

Une équipe britannique vient de franchir une nouvelle étape vers l’identification automatisée des insectes, grâce à un système associant des lampes Led et une intelligence artificielle. Les résultats du groupe de James Bell, entomologiste au réputé laboratoire de Rothamsted, sont certes issus du laboratoire et n'ont pas encore subi l'épreuve du terrain. Il n’empêche : ils constituent une première dans le domaine de l’automatisation de la reconnaissance des pucerons – une famille qui donne du fil à retordre aux scientifiques (et bien sûr aux agriculteurs !).

« Nous avons au Royaume-Uni un réseau de 37 échantillonneurs à aspiration qui capturent tous les insectes sur une colonne de plusieurs dizaines de mètres de haut, et qui nous servent à suivre approximativement l’évolution des populations» a expliqué le chercheur au JA Mag. « Mais nous faisons tout le travail d’identification de ces centaines de milliers d'individus à la main, et c’est un effort colossal. C'est pourquoi la reconnaissance automatique des insectes est un objectif de la science depuis les années 1950. »

N'utiliser les pesticides que quand ils sont efficaces et nécessaires

Les chercheurs voudraient parvenir à développer une sorte de bulletin prévisionnel des insectes, autrement dit à anticiper beaucoup plus finement qu’aujourd’hui, à partir d’évolutions ténues, mesurées en temps réel, quels ravageurs vont proliférer dans quelle région. Ce qui permettrait d’évaluer les risques et d’adapter les traitements. « Notre objectif fondamental est de réduire l’usage des insecticides, en ne les utilisant que quand ils sont efficaces et absolument nécessaires », insiste James Bell.

La reconnaissance automatique des insectes a déjà fait beaucoup de progrès : pour les grandes espèces colorées, notamment les papillons (mêmes nocturnes), on peut utiliser les pixels de couleur de leurs robes ; et pour les espèces à vol rapide, les chercheurs travaillent sur le son qu’elles émettent pour les identifier. « Vous ne vous en rendez pas compte, mais vous êtes capable de différencier une abeille d’une guêpe simplement à l’oreille, parce que le bourdonnement de leur vol n’est pas émis à la même fréquence  ! C’est ce que font aussi, plus finement, certains appareils. »

Seulement, toutes ces stratégies échouent avec les pucerons. Ces derniers sont extrêmement petits (2 mm pour un poids de 1 mg en moyenne), et dans leur grande majorité ont une couleur homogène (habituellement le vert). En outre, leur vol lent est parfaitement silencieux. Pour identifier les espèces, il faut regarder les individus au microscope afin de compter les épaississements qui ponctuent leurs antennes. Un travail impossible à conduire à grande échelle. Or il est indispensable de différencier correctement les espèces, qui attaquent des plantes différentes et sont porteuses de virus distincts. Ainsi le puceron vert du pêcher, Myzus persicae, pour ne prendre qu’un exemple, transmet plus de 100 virus dont celui de la sharka, et est considéré à ce titre comme l’un des dix principaux ravageurs planétaires.

Une identification avec 80 % de précision

Les scientifiques ont donc mis au point un système pour capter les caractéristiques du vol : vitesse, trajectoire, fréquence de battement, etc. Lorsque l’insecte coupe le faisceau d’une Led qui clignote, à la manière d’un stroboscope, son vol est analysé. Et bien que chaque enregistrement ne dure que 0,2 seconde en moyenne (le temps durant lequel l’animal est dans le faisceau), le logiciel associé a permis de différencier avec 80 % de précision six espèces de pucerons et deux espèces de coléoptères, à partir d’un échantillon de 5 000 trajectoires.

« C’est un très bon score et un résultat très encourageant », estime James Bell. Qui, à l'évidence, rêve d’un « Big Brother » des pucerons, un système épiant chaque fluctuation de leurs populations, basé sur un réseau de petits appareils bon marché, qui pourraient être dispersés dans les parcelles des agriculteurs tout en centralisant leurs données… Peut-être la parade à l'offensive générale des ravageurs qu'a engendrée la mondialisation ?