Gérald Pichot mène des innovations croisées, au sens propre comme au figuré
Depuis son installation en 2011, le jeune éleveur de 32 ans révolutionne la ferme familiale : instauration du croisement « trois voies », mise en place d’une rotation de cultures originale et démarrage d’une activité de vente directe. D’autres projets, tels que la création d’un atelier zébu, trottent dans la tête de ce JA, décidément jamais à court d’idées.
Être à contre-courant n’est pas vraiment un problème pour Gérald Pichot. Ce serait même plutôt le contraire. Se différencier, se mettre volontairement à la marge de ce qui se fait de coutume constitue sa marque de fabrique. « J’aime bien faire ce que les autres ne font pas », résume-t-il ainsi.
Lorsqu’il reprend la ferme familiale en mars 2011, celle-ci ressemble à une exploitation des plus classiques. Les 175 hectares de SAU sont consacrés entièrement à l’herbe et les élevages sont composés de races pures : Montbéliarde puis Holstein en bovins lait, Charolaise en bovins allaitants. Un système qui a prouvé sa résilience puisqu’il permettait au père de Gérald de nourrir les bêtes sans recourir au moindre apport extérieur.
Mais badaboum, en 2011, la fougue de la jeunesse est venue frapper à la porte. L’arrivée de Gérald signera le début d’une révolution à tous les échelons qui, dix ans plus tard, ne semble toujours pas prête de s’arrêter.
Un an avant son installation, en 2010, Gérald va d’abord insuffler l’idée de convertir toute la ferme en bio. Et, première bonne nouvelle, les trois années normalement nécessaires à la conversion ne s’appliquent pas dans leur cas. « On a eu une conversion non simultanée en bio, explique le jeune homme, elle s’est faite en six mois pour le lait et en trois quarts de vie pour les animaux. » Aucun engrais n’était en effet utilisé sur la ferme, les certificateurs ayant facilement pu le corroborer en analysant les historiques d’achat. Au bout de six mois, les 1 000 l de lait estampillé bio étaient vendus – à l’époque – 100 € de plus que le conventionnel. Une belle façon de démarrer sa première année d’installation.
Une inspiration tirée de nombreux voyages
Gérald nourrit une curiosité de chaque instant. Très ouvert, il n’hésite jamais à aller vers l’autre, vers ce qu’il ne connaît pas. Ce qui frappe, lorsqu’on l’écoute énumérer les différents changements apportés dans la ferme, c’est qu’ils ont tous un lien avec les voyages qu’il a pu faire.
Son épopée démarre en dehors de l’Hexagone par un déplacement au Portugal, à l’époque de son Bac technologique. Quelques visites de fermes plus tard, il rentre en France, heureux de cette première sortie. Le premier grand voyage qui le marquera sera celui effectué au Sénégal pendant son BTS Acse. « On est partis 15 jours en immersion complète, c’était un déplacement coorganisé avec l’Afdi », se remémore Gérald, les yeux pétillants. C’est à cette occasion qu’il découvre la culture du sorgho et du teff grass, qu’il intègrera quelques années plus tard dans sa rotation. Entre ses deux années de BTS, c’est un autre pays qui le marquera fortement. « On avait le choix de faire une expérience agricole de quatre semaines en France ou à l’étranger, se souvient Gérald, j’ai pris un globe terrestre et j’ai dit à mes professeurs, on habite là, et bien moi je veux aller là », indiquant le point à l’extrême opposé. Ce petit bout de terre au milieu des eaux n’était autre que la Nouvelle-Zélande. « Mes professeurs étaient un peu inquiets, car l’école n’avait aucun contact là-bas », sourit aujourd’hui Gérald. Qu’à cela ne tienne, le jeune étudiant qu’il était ne se décourage pas. Ce sera son professeur de sport qui le mettra en contact avec son voisin, un Néo-Zélandais venu passer une année sabbatique en France. C’est lors de cette immersion d’un bon mois et demi en « terre kiwi » que Gérald découvre le croisement trois voies.
Quelques années plus tard, le jeune homme, insatiable en nouveautés et dépaysement, s’envolera pour Madagascar. Les élevages de Zébu, race traditionnelle de ce pays, retiendront particulièrement son attention. Après avoir été reçu dans plusieurs familles malgaches pendant ce séjour, Gérald n’a pas hésité à rendre la pareille en accueillant à son tour dans sa ferme un agriculteur malgache. « L’échange est à la base de tout, c’est là que tu apprends le plus », observe l’intéressé.
En France aussi, Gérald a pas mal bourlingué. « Je me souviens, entre autres, d’un voyage d’études en Midi-Pyrénées, c’est là-bas que j’ai découvert le méteil immature, chez un JA. Je me suis dit, tiens, c’est quelque chose qui pourrait coller chez moi. »
Toutes ces expériences passées en dehors de son corps de ferme seront autant d’occasions d’apprendre et de maturer son futur plan de ferme.
Le système trois voies
Mais quelle mouche a bien pu piquer Gérald Pichot pour qu’il se lance dans le croisement trois voies ? « On nous apprend à l’école que lorsque l’on croise deux races laitières, on obtient ce qui s’appelle l’effet d’hétérosis. En clair, le produit de ce premier croisement est censé être meilleur, génétiquement parlant, que les parents. Le problème, c’est que cela ne marche bien qu’en première génération. Si vous accouplez ce F1 avec l’une des deux races de départ, l’effet va être inverse et il y aura un risque accru de voir se dégrader la génétique. D’où l’intérêt du trois voies. On ramène une troisième race, différente de celles des parents, ce qui permet de bénéficier à nouveau de l’effet d’hétérosis. Encore une fois j’insiste, ça c’est en théorie », expose avec passion Gérald, pionnier dans l’âme, qui pratique lui-même les inséminations après avoir suivi une formation sur deux jours.
Retrouvez le détail des croisements génétiques réalisés par Gérald Pichot et la rotation des cultures atypique qu'il a mise en place dans le JA mag numéro 779 de mars-avril.