Rikke Benoit, la limousine comme fil rouge d’une vie
Chez les Benoit, la limousine est un membre de la famille à part entière. Originaire du Danemark, Rikke Benoit est désormais installée avec son mari Vincent sur une exploitation de 200 mères limousine dans le département de l’Indre. Bien que l’éloignement avec sa famille danoise ne soit pas toujours évident à vivre, l’éleveuse de 38 ans ne regrette pas son expatriation et apprécie son mode de vie.
Née au Danemark, rien ne prédestinait Rikke Benoit à vivre dans le Boischaut Nord, région naturelle de France située dans le département de l’Indre. Ou peut-être une chose, à bien y réfléchir : sa passion pour la limousine. Si cette race bovine rayonne désormais partout dans le monde, la France, et plus spécifiquement le Limousin, en est le berceau. D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Rikke a toujours été entourée de limousine. Au Danemark, ses parents avaient un cheptel de 60 mères. Un élevage relativement conséquent pour un pays où l’élevage bovin allaitant est plutôt extensif, mais toutefois insuffisant pour assurer à la famille une situation confortable. Aussi, comme beaucoup d’éleveurs danois, ses parents étaient double-actifs. « J’ai toujours eu en tête que je ne pourrai jamais vivre de ma passion pour les vaches », rapporte Rikke. C’est pourquoi, animée par le désir de voyager, elle a d’abord opté pour des études supérieures en communication et commerce international.
L’appel de la France
Tout naturellement, le vent la porte vers la France. Une destination facilitée par sa connaissance de la langue française. Au collège, son père l’a fortement incitée à prendre l’option français. « Il se disait que comme ça, il aurait une traductrice lorsqu’il irait acheter ses taureaux en France ! » sourit Rikke. À travers la limousine, c’est un véritable lien familial qui s’est tissé avec la France.
En 2007, elle part faire un Erasmus à Paris, l’occasion aussi de se rapprocher de son futur mari, Vincent, un français rencontré quelques années plus tôt. En 2008, elle décide finalement de le rejoindre dans sa région natale, au nord du département de l’Indre. Lui est éleveur de bovins dans la ferme familiale. Est-il vraiment nécessaire d’en préciser la race ? Sans surprise, la limousine se fraye à nouveau un passage dans la vie de Rikke. Mais ce n’est que neuf ans plus tard, en 2017, qu’elle s’installe en tant qu’éleveuse sur l’exploitation. Entre temps, le couple a eu deux enfants, Marius et Carla, aujourd’hui âgés de 13 et 11 ans, et Rikke s’est fait un point d’honneur de travailler en dehors de la ferme pour « utiliser [son] diplôme ». « Je voulais prouver que j’étais aussi capable de travailler dans le domaine de mes études, d’utiliser ce que j’avais appris, mais le plus naturel au monde était quand même que je m’installe », convient-elle. Avant de s’installer, elle suit un BPREA à Châteauroux, et obtient ainsi son premier diplôme français.
Nouvelle passion
Rikke Benoit n’est pas du genre à rester statique. À peine installée qu’elle pense déjà à la suite. En 2019, elle s’inscrit à une formation organisée par le Herd-Book Limousin pour ses éleveurs adhérents. Créée en 1886, cette association a pour principale mission l’amélioration génétique de la race limousine. À l’issue de la formation peuvent être désignés de nouveaux juges agréés pour les concours de la race limousine.
« Mon objectif était vraiment d’apprendre les fondamentaux de la race et les techniques de pointage [évaluation des animaux selon certains critères, NDLR] et de classement des animaux utilisées lors des concours, sans forcément devenir juge »
Rikke savait la sélection drastique, et ses chances d’être retenue minimes. À chaque session, deux ou trois personnes au maximum sur une quinzaine de participants sont nommées juges, parfois aucune. Mais durant les quatre jours intenses qu’a duré la formation, Rikke s’est prise au jeu des mises en situation de concours, se découvrant une nouvelle passion. Elle excelle au pointage des animaux et se démarque lors des oraux qui suivent ses classements, dont l’objectif est de dérouler devant le public les arguments justifiant ses choix. « Le dernier jour de la formation, on a dû faire un grand spectacle, un peu comme si c’était un vrai concours », se souvient Rikke, qui a finalement été nommée juge à l’issue de cet exercice. Si cette formation a été une révélation, elle se souvient de l’oral final comme d’un moment stimulant, mais stressant. Elle a depuis démarré son activité de juge lors de concours de la race limousine, dont certains à l’étranger. Elle s’est rendue en Hongrie au mois de mai, en Irlande en octobre dernier. Au printemps prochain, elle ira en République tchèque. Et pourquoi pas un jour au Danemark ?
Producteurs de génétique
Bien que faisant partie des 56 juges agréés pour les concours de la race limousine, avant tout, ce sont ses propres vaches que Rikke évalue. Avec son mari Vincent, ils sont ce qu’on appelle des éleveurs sélectionneurs. Leur troupeau, composé de 200 mères limousine inscrites au Herd-Book, est reconnu pour sa génétique haut de gamme acquise grâce à un travail de sélection pointu. « On observe les vaches une par une pour repérer leurs qualités et leurs défauts, et ensuite on essaye de trouver un taureau qui permette d’améliorer leurs points faibles », indique Rikke, qui connaît à la perfection chacune de ses bêtes. L’objectif des Benoit est de produire des animaux rentables et rustiques, en privilégiant les bêtes fines ayant des dos et des bassins bien musclés et en stimulant les aptitudes maternelles innées de la race.
« On veut des bassins larges et longs pour favoriser les vêlages, et des petits veaux à la naissance. »
Des bons pieds, aussi, pour éviter les boiteries qui elles-mêmes peuvent engendrer d’autres problèmes comme la disparition des chaleurs, et ainsi rallonger l’intervalle vêlage/vêlage (IVV). « Ce qu’on souhaite, c’est un veau par vache et par an », indique l’éleveuse. Dans le but de faciliter le travail des éleveurs en leur épargnant l’étape de l’écornage des petits veaux, ils font aussi naître des animaux génétiquement dépourvus de corne.
Chaque année, les Benoit gardent la moitié de leurs génisses pour renouveler leur troupeau, et vendent l’autre moitié de leurs génisses pleines. Environ deux tiers des mâles sont vendus comme reproducteurs. « Notre métier c’est de produire de la génétique pour améliorer les troupeaux d’autres éleveurs », résume Rikke.
Équilibre de vie
Depuis quelques semaines, Rikke a une nouvelle fonction. Elle est désormais présidente du syndicat des éleveurs Limousin de l’Indre. L’une de ses missions, en plus de promouvoir la race limousine dans le département ainsi que les éleveurs qui la font vivre, est de soutenir la candidature de Châteauroux en tant que ville d’accueil du concours national de la race limousine en 2028. Des responsabilités, Rikke n’en manque pas. Mais il lui faut parfois lever le pied pour préserver son équilibre de vie. Jusqu’à peu, elle se défoulait le soir en jouant au badminton, sport qu’elle a dû interrompre momentanément suite à une hernie discale. Mais ce qui reste pour elle le plus ressourçant, ce sont ses voyages réguliers au Danemark pour retrouver sa famille et l’atmosphère de son enfance. « À chaque fois que je vais au Danemark, je me promène au bord de la mer, juste à côté de chez mes parents, c’est quelque chose qui me manque de ne plus la voir au quotidien. » Le prochain séjour prévu dans son pays natal sera pour les fêtes de fin d’année. « On aime beaucoup fêter Noël là-bas, c’est très convivial, j’ai une grande famille, nous sommes quatre frères et sœurs ! » Ces voyages permettent aussi à ses enfants de pratiquer leur danois. « C’est très difficile pour moi de parler danois avec mes enfants en étant en France, il faut vraiment que je me force. Je compte vraiment sur mes parents pour apprendre la langue danoise à leurs petits-enfants ! » Bien que très attachée à ses racines et à sa culture, Rikke s’épanouit dans la vie qu’elle s’est construite en France. Être sa propre patronne, travailler en famille, voir ses enfants grandir sur l’exploitation, voilà un mode de vie qui lui plait.
Rikke exprime cependant quelques craintes quant à l’avenir de l’élevage, selon elle trop souvent perçu comme opposé aux préoccupations environnementales. C’est particulièrement le cas au Danemark, où elle constate un vrai changement des mentalités. « Le Danemark est en train de s’orienter vers une forte réduction de son cheptel, et en général ce qu’il se passe au Danemark arrive en France une dizaine d’années plus tard », prévient-elle. Elle s’interroge sur les raisons de cette dichotomie entre l’élevage et l’écologie. « Nous sommes en polyculture-élevage, nos animaux sont nourris avec l’herbe et les céréales de notre exploitation, nous avons un système durable et logique, en quoi est-ce discutable ? » De son côté, la relève semble assurée, car ses enfants partagent sa passion. « Avec mon mari, on essaye cependant de leur transmettre notre ouverture d’esprit, de les pousser vers le monde extérieur afin qu’ils aillent d’abord voir autre chose. Je suis sûre que les expériences hors secteur agricole peuvent être très utiles dans la pratique de notre métier. » Rikke en est la preuve vivante.