Sur le terrain

Marianna Briançon ou la définition du courage

Marianna Briançon, 28 ans, travaille avec son père dans les Hautes-Alpes à Veynes ou il élève des brebis. Le parcours de la JA pourrait paraître classique et pourtant il n’est est rien. Entre remise en question et maladie, la jeune femme a fait face à une multitude d’épreuves.

Marianna Briançon sur l'exploitation familiale à Veynes dans les Hautes-Alpes.

Au volant de sa Clio, Marianna enchaine les routes en lacets qui séparent le village de Veynes de la ferme familiale située à 1 200 mètres d’altitude. Le drapeau Jeunes Agriculteurs trône fièrement sur la plage arrière. Dans le ciel, les rayons du soleil de janvier se fraient un chemin dans la vallée entre les montagnes pour venir éblouir le visage de la jeune femme. Pourtant Marianna ne dévie pas de sa trajectoire, elle avance fièrement.  Et pour cause, cette route elle la connait par cœur.
C’est ici, dans les Hautes-Alpes que la jeune femme de 28 ans a passé toute sa jeunesse. « La vue est quand même plus sympa qu’à Paris », ironise l’agricultrice en désignant le haut de la montagne qui l’a vu grandir. Un gîte, une chapelle et au bout de la route se dessine un petit corps de ferme qu’on devine replis de souvenir pour la jeune femme.


À peine descendu de voiture elle est accueillie par le lourd aboiement des patous qui gardent les brebis sept jours sur sept et 24h sur 24. Car oui, Marianna élève ici un troupeau de 200 brebis mérinos d’Arles. Avec un père éleveur, on pourrait penser que le parcours de Marianna était tout tracé. Pourtant il n’est l’était pas ! « J’ai toujours évolué dans ce milieu, mais à la base je ne voulais pas du tout faire ça. Toute mon enfance j’ai vu mon père travailler sans relâche, il n’avait ni jour férié, ni congé et encore moins des vacances. J’avais conscience de la dureté de ce métier ! »

Changement de vie

Passionnée par son métier, la jeune femme est aussi amoureuse de ses bêtes.

Bien décidée à vivre une vie différente de celle de son père, Marianna s’est lancée dans des études. « J’ai commencé par un bac sanitaire et social avant de me diriger vers un DUT communication », se remémore-t-elle. La jeune bachelière quitte donc la paisible campagne alpine pour le tumulte de Lyon. À cette époque, en 2015, la France est touchée par une vague d’attentat et le changement de vie de la jeune femme ne va pas se faire comme prévu. « La période a vraiment été compliquée, stressante pour moi. Je me suis très vite rendu compte que je n’aimais pas la ville. J’ai commencé à tout remettre en question. Je me demandais si mon futur métier aurait vraiment du sens dans la société. » À l’issue de ses études, elle quitte Lyon pour revenir dans sa région natale où elle devient médiatrice numérique. « J’aidais les gens dans leurs démarches administratives. Ce métier avait vraiment du sens ! » Mais le bas salaire et l’étroitesse d’un bureau commençaient à lui peser. « En mars 2021, j’ai pris une semaine de vacances et j’ai remplacé mon père à la ferme pour le laisser souffler. À ce moment je me suis dit : c’est ça la vie que je veux ! » Un peu plus tard, quand l’occasion s’est présentée Marianna a quitté son travail pour rejoindre les hauteurs de la ferme familiale.

Mais ce choix de changer de vie, la future éleveuse ne l’a pas fait que pour elle : « Mon père n’est pas propriétaire sur l’exploitation. Le bail arrivera à terme en 2025 et les propriétaires veulent reprendre la ferme. Il faut être honnête, à son âge il y a peu de chance pour qu’une banque lui prête de l’argent pour acheter quelque chose. » Marianna a donc entamé son nouveau projet, en 2021, avec celui qui a fait naître en elle la passion de l’agriculture. « J’aide mon père. À terme nous voulons nous associer, cela me permettra de profiter de son expertise, mais aussi de son cheptel. De son côté il va pouvoir s’appuyer sur quelqu’un et continuer son activité jusqu’à sa retraite. »

Le patou ou chien des Pyrénées est utilisé pour garder les brebis.

2021 : une année marquée au fer rouge

C'est grâce à cette télécommande reliée directement à sa pompe que Marianna peut gérer son taux d'insuline.

L’année 2021 restera gravée à jamais dans la tête de la jeune femme. « C’était une année chargée, mais aussi très compliquée, très lourde. Il y a eu beaucoup de changement. Déjà avec l’arrêt de mon travail, j’ai également mis un terme à la relation dans laquelle j’étais. Et s’il n’y avait que ça ! J’ai perdu ma grand-mère et mon père a contracté le covid. Il a été très malade et j’ai dû m’occuper de lui et de l’exploitation. » Une année éprouvante pour Marianna qui a accueilli 2022 sous les meilleurs auspices : « Je recommençais une toute nouvelle vie. J’étais sur la ferme à temps plein, au grand air. » C’est cette même année qu’elle rencontre son conjoint et qu’elle est élue Miss France Agricole. « Je me suis dit que c’était mon année. Que la roue avait tourné et que j’allais enfin être heureuse ! »


C’était sans compter sur un événement qui aurait pu lui paraitre insignifiant. « Lors du Salon international du machinisme agricole (Sima), en novembre 2022, j’ai passé mon temps aux toilettes. Je ne pouvais pas me retenir ! En rentrant, j’en ai parlé avec ma belle-mère qui est infirmière. Elle m’a dit de surveiller ma glycémie*, car j’avais l’un des symptômes du diabète. »
Après quelques tests, un appel avec son cousin diabétique et un passage chez son médecin traitant, le résultat est sans appel, Marianna souffre d’un diabète de type 1. « Pour moi, le stress et les chamboulements accumulés durant l’année 2021 ont été des facteurs. »
Aucune donnée scientifique ne permet encore de prouver que le diabète est dû à un choc émotionnel. Mais il est souvent admis qu’une période de stress intense peut révéler un diabète de type 1 probablement déjà présent dans le corps. (cf interview)

Marianna n'est jamais aussi heureuse qu'au milieu de ses brebis.

« J’ai accepté la maladie »

Après une hospitalisation d’une semaine à Gap, qui n’a pas de service de diabétologie, elle est transférée à Grenoble. Depuis son lit d’hôpital, elle se renseigne sur la maladie,
toute ses connaissances, mais aussi l’annonce de sa maladie elle l’a partagé dès le début avec ses abonnés sur les réseaux sociaux. « Je suis très active sur les RS. Je me suis dit qu’il était important de l’évoquer avec les gens qui me suivent. » De nombreux témoignages affluent sur sa messagerie dont un qui va particulièrement la marquer : « Une personne que j’avais rencontrée lors d’un salon m’a dit qu’elle aussi elle était diabétique. Ça m’a rassuré, car j’ai vu qu’elle vivait très bien avec. Pour être honnête, je ne l’avais même pas remarqué ! »
Grâce à ces précieux renseignements, elle décide de se tourner vers un système de pompe à insuline qui lui permet de pratiquer son métier sans trop de gêne. « Avec les animaux, je ne peux pas me permettre d’avoir une pompe avec un tuyau qui dépasse de mes vêtements », explique Marianna. Indispensable, cette pompe lui permet de recevoir de l’insuline lorsque sa glycémie est trop basse. Un capteur vient compléter son équipement et lui donne en temps réel son taux.

« J’ai beaucoup pleuré, j’ai eu des moments de doutes, mais aujourd’hui j’ai accepté la maladie. Aujourd’hui, ma vie est totalement différente. Avant quand je sortais, je regardais si mon rouge à lèvres était bien, si j’étais bien apprêté. Aujourd’hui, je regarde si j’ai bien la télécommande pour ma pompe et à manger pour faire face aux hypoglycémies. » Dans sa vie d’éleveuse, Marianna se surprend à ne plus penser à sa maladie : « Quand je travaille, j’oublie mon diabète. Ce sont souvent les alarmes du capteur qui me rappellent qu’il est bien là. » Sur le plan personnel aussi tout a changé pour elle. « Comme je dois faire attention à tout ce que je mange, c’est vrai que ce n’est pas simple. Mais je m’adapte, par exemple pour les fêtes j’ai dit à ma famille que je m’occupais de la bûche. Ça m’a permis de savoir exactement combien de glucides j’allais manger et de pouvoir gérer mon taux de glycémie. »

Battante et ne baissant jamais les bras, Marianna se prouve chaque jour à elle-même que cette maladie n’est pas une fatalité. « Je n’aime pas dire : « je suis diabétique ». Dans cette phrase, le verbe être revient à dire que je suis mon diabète et c’est faux. Je préfère dire que j’ai un diabète. »