Jérôme Rey, un éleveur au cœur de la mêlée
Jérôme Rey, 28 ans, est à la fois éleveur et rugbyman professionnel. Véritable force de la nature, le jeune homme est aussi à l’aise en mêlée que dans les champs à prendre soin de ses bêtes. Considéré comme l’un des meilleurs piliers français, il fait figure d’exception, aussi bien dans le monde agricole que dans le milieu du ballon ovale.
C’est en plein cœur de la Savoie à Saint-Vital, commune nichée entre deux montagnes que se situe l’exploitation de Jérôme Rey. Il est 14h30 en cette chaude journée du mois de juillet, le jeune éleveur revient de sa tournée et à peine arrivé sur son point de vente il se saisit d’une centaine d’œufs pour y apposer la date de ponte. « Mon employée n’est pas là alors je la remplace », explique l’intéressé. C’est ici dans cette petite pièce, entourée de pâtés, bœuf bourguignon et autre blanquette de veau que Jérôme me reçoit. Ce gaillard d’1m82 pour 113kg n’est pas un agriculteur comme les autres. En plus de s’occuper de ses poules pondeuses, de ses blondes d’aquitaine et de ses charolaises, Jérôme est le pilier de l’équipe de Lyon. Si nombreux sont les agriculteurs à jouer au rugby, combien évoluent en Top 14 ? Un seul et il s’appelle Jérôme Rey.
Une jeunesse entre agriculture et rugby
C’est à l’âge de huit ans qu’il découvre le rugby. « J’ai commencé au club d’Albertville, pas très loin de chez moi où je suis resté six années. Personne ne faisait de rugby dans ma famille, mais moi ça m’a tout de suite plu », se remémore Jérôme. Pour ce qui est de l’agriculture, la passion est venue bien avant. « J’ai toujours baigné dans le milieu agricole, mes parents avaient cinq hectares pour produire du foin et maïs. J’avais aussi un voisin qui avait des vaches laitières. » C’est donc naturellement que tout en continuant le rugby il s’inscrit en bac pro Conduite et gestion de l’entreprise agricole (CGEA) qu’il obtient en juin 2018. Les débuts sont compliqués pour celui qui n’est pas encore un professionnel du ballon ovale. « Quand on se lance en tant que jeune agriculteur, ce n’est pas simple. Dans mon cas, beaucoup de portes se sont fermées, et ce, dès le début », regrette l’éleveur. Mais, une banque va lui permettre de lancer son projet. Quelques mois après, en novembre 2018, il s’installe sur les terres de ses parents dans sa belle Savoie natale. « J’ai commencé avec un tracteur et un terrain vierge de neuf hectares. Au début je louais des bâtiments à un voisin, tout doucement j’ai monté ma propre exploitation », se rappelle le sportif au mental d’acier.
La montée en puissance
Sa force de caractère, Jérôme l’utilise aussi bien dans le milieu agricole qu’au rugby. Dans le but de progresser, il rejoint en 2010 le club de Montmélian, considéré comme l’un des meilleurs centres de formation des jeunes du département. Il y découvre la fédérale 2 à seulement 18 ans. À la fois robuste et puissant, il est très vite repéré par le club isérois de Bourgoin-Jallieu qui le recrute en 2015. « Je m’étais engagé avec eux sur trois ans. À 20 ans, j’ai découvert la Pro D2 (deuxième échelon des compétitions nationales de rugby à XV en France). J’ai disputé dix matchs en tant que titulaire », se souvient-il.
Après une relégation de l’équipe, le jeune pilier fait un détour par Chambéry entre 2017 et 2019 où il réalise d’incroyables statistiques. « J’ai fait deux très bonnes saisons à Chambéry après quoi de nombreuses équipes pros se sont intéressées à moi », glisse modestement Jérôme. Approché par le très prometteur club de Vannes, il est conscient que son métier d’agriculteur l’empêche de partir loin de Saint-Vital et de son exploitation : « Mon amour du rugby me disait d’y aller, mais ma passion pour l’agriculture m’en empêchait », admet-il. La solution il va la trouver tout seul : « J’ai appelé le club de Grenoble pour leur dire qu’il devait commencer à me connaître et que désormais j’étais libre. »
Double vie
« Si les gens savaient tout ce que j’ai fait ! » C’est la réponse que donne le rugbyman quand on lui demande sa recette magique pour être en mesure de combiner rugby et élevage en même temps. « Quand je jouais pour Chambéry, l’abattoir était à côté du stade. Sur la route de l’entraînement, j’emmenais mes bêtes et après je partais jouer. » Une double activité qu’il poursuit à Grenoble où il livre ses clients avant de jouer et aujourd’hui encore à Lyon en fournissant en viande la brasserie du club. Un rythme difficile à croire pour certains : « Un jour, un ouvrier est venu me livrer sur la ferme. Quand je lui ai dit que j’étais aussi rugbyman, il pensait que je parlais du sportif du dimanche. J’ai eu beau lui dire que je jouais en Top 14, il ne voulait pas me croire. Il a regardé sur internet et m’a ensuite demandé un selfie », se rappelle en riant Jérôme.
Cette double vie, il l’assume autant qu’il l’apprécie. « Mon exploitation c’est mon équilibre. Je n’ai pas de préférence entre le rugby et l’élevage, les deux se complètent », explique-t-il. Mais cette stabilité vacille en 2021 quand le club de Lyon olympique universitaire (LOU), qui évolue en Top 14, veut le recruter. « C’était un rêve de gamin de jouer au plus haut niveau. Je ne m’en rendais pas compte au début, car j’ai toujours gravi les échelons un par un, mais être appelé par une telle équipe c’est dingue ! » Sans hésiter, Jérôme accepte le défi et son club de Grenoble le libère.
S’il atteint le sommet du rugby français en intégrant le Top 14, il n’en oublie pas moins son amour pour l’élevage. « Je possède une maison à Lyon, j’y suis la plupart du temps pendant la saison. Mais je suis aussi chef d’exploitation, il faut continuer de faire tourner la boutique. » Le désormais pensionnaire de Lyon retourne à Saint-Vital dès que le programme d’entraînement le lui permet. Pour se soulager, il a embauché une personne à plein temps dédiée à la partie commerciale ainsi qu’un salarié agricole.
Une famille à double casquette !
En plus de ses deux recrutements, sa famille n’est jamais bien loin. « Mon père travail à l’usine le matin et sur l’exploitation l’après-midi. C’est mon homme de confiance. Ma femme aussi m’épaule, elle est infirmière et s’occupe de la communication pour l’entreprise », explique l’éleveur. Chaque membre de la famille mène ainsi une double vie. « C’est moi qui ai poussé mes proches à me suivre. Sans eux ça ne serait vraiment pas pareil », admet Jérôme. Pour Martial, son père, cet engagement est logique : « Il a un parcours atypique, c’est normal que je lui apporte mon aide. Et puis je suis bientôt à la retraite, ce qui va me permettre d’être à 100 % sur l’exploitation. »
Humble, travailleur et généreux
« Aujourd’hui je suis là à m’occuper des œufs et il y a un an je partageais ma viande avec Antoine Dupont la superstar du rugby mondial ! »
Cette double vie de rugbyman et d’éleveur n’a pas empêché le jeune homme de 26 ans de faire un passage en équipe de France. En octobre 2022, il est convoqué par Fabien Galtier pour remplacer l’international rochelais Reda Wardi, en vue de la tournée d’automne. N’oubliant jamais sa deuxième activité, le pilier charge alors son paquetage d’une trentaine de côtes de bœuf pour ses coéquipiers. « Aujourd’hui je suis là à m’occuper des œufs et il y a un an je partageais ma viande avec Antoine Dupont la superstar du rugby mondial ! » se remémore Jérôme les étincelles dans les yeux. Non sélectionné pour participer à la coupe du monde qui se déroulera en septembre cette année, le pilier gauche de Lyon croît tout de même en ses chances de faire son retour en équipe nationale après l’événement.
En bon agriculteur qu’il est, Jérôme garde les crampons sur terre ! Sa simplicité, il la revendique même : « Je suis resté le même grâce à l’exploitation, elle m’évite de prendre la grosse tête. Je préfère d’ailleurs que les gens me voient comme Jérôme Rey l’agriculteur plutôt que comme joueur de rugby professionnel ! »
Ce sont dans les valeurs d’humilité et de travail plus que dans la gloire et les paillettes qu’il se retrouve. « En agriculture comme au rugby, il y a de la dureté, de l’engagement. J’adore ça, je suis quelqu’un qui ne veut jamais lâcher, je vais au bout des choses, peu importe l’endroit où je me trouve, dans les champs ou sur le terrain. » Autre valeur importante pour Jérôme, l’humain, présente dans ses deux passions notamment avec la fameuse troisième mi-temps : « J’aime faire la fête, ça fait partie de l’esprit du rugby. » Des moments de convivialité qu’il aime aussi célébrer avec ses amis agriculteurs. « J’ai été président de mon canton de la combes de Savoie pendant près de huit ans. On a organisé de nombreux événements festifs ! J’ai dû arrêter avec le rugby, mais j’en garde un souvenir inoubliable. »
Si ses amis agriculteurs sont admiratifs par l’aptitude de Jérôme à combiner ses deux passions avec autant d’engagement et de conviction, il en va de même pour ses coéquipiers. « Certains sont fiers, d’autres me prennent pour un ovni », s’amuse-t-il. Et ce qui lui plait le plus, c’est que son métier d’éleveur lui permet d’avoir un lien privilégié et à la fois singulier avec le public. « Des gens me voient le soir à la télévision et peuvent me retrouver dans mon point de vente dès le lendemain. »
Des projets plein la tête
Depuis ses débuts en tant qu’éleveur, Jérôme a décidé de ne pas se verser de salaire. Et ce, pour une bonne raison. Il préfère investir dans l’agrandissement progressif de son exploitation et ainsi préparer sa « retraite sportive ». Mais loin de lui l’idée qu’elle arrive tout de suite ! Au contraire, à 28 ans, il compte bien raffuter, pousser et plaquer encore quelques années. « J’espère que cette année, avec Lyon, nous jouerons les phases finales du championnat du Top 14 tout en nous qualifiant pour la coupe d’Europe. » Côté exploitation, il réfléchit à créer un laboratoire de transformation et à embaucher un boucher afin de développer sa gamme de produits.
Entre crampons et moissons, Jérôme Rey fait figure d’exception dans le paysage du rugby français. Un parcours forgé à la sueur de son front et dont le résultat s’apparente à un essai transformé avec brio.