Lavande et vin en Moldavie : une exploitation en péril
Depuis 2014, Nicu Ulinici, 33 ans, cultive la vigne et la lavande sur dix hectares à Valea-Trestieni, en Moldavie. Son exploitation prospérait jusqu'en 2022, année où la guerre en Ukraine a plongé le pays dans une crise économique profonde. L'effondrement du pouvoir d'achat a rendu le vin et l'huile de lavande difficilement vendables, mettant en péril son activité. Contraint de trouver un revenu stable, Nicu a pris un poste d'œnologue dans un chai, tout en continuant à entretenir ses cultures avec l'aide de ses ouvriers.

Depuis son installation en 2014 à Valea-Trestieni, à 100 km de Chisinau[1], Nicu Ulinici n'a pu compter que sur l'aide de sa femme et de ses parents. Il exploite cinq hectares de vigne et cinq hectares de lavande, sans aucun prêt bancaire ni subvention agricole comparable à celles de la Pac en Union européenne. Avec la guerre en Ukraine, la situation est devenue critique. « Le gouvernement moldave n’a pas les moyens de soutenir financièrement ses viticulteurs pour atténuer la crise économique et financière à laquelle ils sont confrontés », déplore l’agriculteur.En février 2022, la Moldavie s’est retrouvée brutalement isolée sur le plan commercial. Elle n’avait plus accès aux ports de la mer Noire par le Dniestr[2]. Le pays a également été empêché de s’approvisionner en gaz et en pétrole et s’est retrouvé dépendant de la Transnistrie[3] prorusse pour être desservi en électricité. Dorénavant, la Roumanie est la seule voie possible pour exporter les produits moldaves vers l’Union européenne et le reste du monde depuis les ports roumains de la mer Noire.
Un marché en chute libre

La flambée des prix qui a suivi le début du conflit en Ukraine a appauvri les consommateurs moldaves et fragilisé de nombreux domaines viticoles. « Acheter du vin et de l’huile essentielle de lavande est devenu un luxe », constate Nicu. En quelques mois, il a vu son chiffre d’affaires s’effondrer. Depuis trois ans, le jeune agriculteur peine à couvrir les charges de sa ferme dans l’attente de jours meilleurs. Il a dû prendre un poste d’œnologue dans un chai pour générer un revenu que sa ferme ne lui procure plus. Ses deux ouvriers permanents assurent l’entretien de ses cultures.
Une passion héritée

Avant la guerre, Nicu est parvenu, en quelques années, à développer une production viticole et une culture de lavande renommées. « Les cinq hectares de vigne plantés en 2007 par mon père, Victor (60 ans), entraient alors en production », souligne Nicu. Et pour écouler ses productions, il s’était constitué un vaste réseau commercial. Avant la crise, il commerçait notamment avec de grandes chaînes de magasins. Désormais, il se limite aux foires commerciales et aux dégustations pour écouler sa production. C'est cette passion du vin, transmise par son père œnologue, qui a poussé Nicu à s'installer en 2014 sur une partie des 50 hectares achetés par Victor en 2003.
Le rendement moyen de son vignoble oscille autour de neuf tonnes par hectare, mais en 2024, année particulièrement sèche, il est tombé à cinq tonnes par hectare.
Un investissement personnel considérable
Pour financer son exploitation, Nicu s’est très vite lancé dans la production de lavande en plantant en 2016 ses deux premiers hectares. Dans un premier temps, il se contentait de vendre sa lavande en sachets ou en bouquets séchés. Puis, il a décidé de produire de l’huile essentielle et de l’eau de lavande.
Son père a été son banquier en lui prêtant par exemple les 6 000 € nécessaires à l'achat d'un alambic pour produire de l’huile essentielle. Au fil des années, Nicu a autofinancé son matériel agricole qui lui manquait pour cultiver les vignes, pour vinifier son raisin et pour acquérir le bâtiment de 2000 m² dédié à la transformation de la lavande. « L’ONG américaine Usaid, dont les fonds ont été récemment coupés par le président américain Donald Trump, m’a aussi financé l’achat d’une cave de 200 m² », ajoute l’agriculteur.

Les crises agricoles, reflets des crises géopolitiques
En Moldavie, les crises agricoles sont avant tout des crises géopolitiques. Elles ruinent les paysans moldaves. En 2007, Victor a été victime de l’embargo russe imposé sur les exportations de fruits et de vins moldaves. Il possédait un chai qu’il lui rapportait des revenus conséquents. Mais, lorsque l’embargo a été instauré, il a perdu 500 000 $ !
Quinze ans plus tard, Nicu endure une nouvelle crise économique. À Valea-Trestieni, il se contente d’entretenir sa ferme en attendant des jours meilleurs. Au printemps et en été, il s’y rend deux fois par mois pour tondre l'herbe pendant la journée et pour traiter la vigne le soir avec des produits accrédités en Union européenne, selon l’agriculteur. Ce dernier fait parfois des journées de travail de 18 heures ! À Chisinau, sa femme tient un salon de coiffure.
Nicu ne séjourne dans son village que durant les vendanges et la période de récolte de la lavande. Pendant les trois mois de vinification, il se rend sur sa ferme deux fois par semaine pour vérifier comment se déroulent la fermentation, puis la mise en bouteille de son vin. Le reste de l'année, il consacre son temps à la vente de ses bouteilles.
[1] Chisinau (prononcé Kichinaou), Capitale de la République de Moldavie.
[2] Fleuve d'Europe de l'Est long de 1 362 km, issu des Carpates ukrainiennes, dans les Beskides orientales, en Ukraine occidentale, et aboutissant à la mer Noire en Ukraine méridionale.
[3] Transnistrie est le nom roumain de la région à cheval sur la Moldavie et l'Ukraine située entre les fleuves Dniestr et Boug méridional, habitée par des populations roumanophones, ukrainiennes et russes.