Gelées historiques : le gouvernement annonce les aides, les JA chiffrent leurs pertes
En réponse à la vague de gel sans précédent de ces derniers jours, Jean Castex a annoncé, le samedi 17 avril, la création d’un fonds de solidarité exceptionnel d’un milliard d’euros. Les jeunes agricultrices et agriculteurs touchés de plein fouet procèdent actuellement à l’évaluation des pertes avec en point de mire : sauver ce qui peut l’être encore et se projeter déjà sur la saison prochaine.
« À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ». Ce samedi 17 avril, à l'issue d'une table ronde organisée avec des représentants agricoles et des élus à Montagnac (Hérault), le Premier ministre Jean Castex a mis sur la table un milliard d'euros d'aides à destination des agriculteurs touchés par le gel de ces dernières semaines, via un fonds de solidarité « exceptionnel ». « L'État doit être à la hauteur de cette catastrophe. Je suis venu annoncer un effort significatif de l'État à hauteur d'un milliard d'euros, car la situation le justifie », a déclaré Jean Castex, qui a détaillé plusieurs mesures d'urgence : report et exonération de charges sociales, dégrèvements de taxes foncières sur le non bâti (TFNB), et mobilisation des dispositifs existants en matière d'activité partielle.
Par ailleurs, une enveloppe d'urgence sera allouée aux préfets « sous dix à quinze jours » afin de venir en aide aux exploitations les plus touchées. L'indemnisation des arboriculteurs au titre du dispositif des calamités agricoles sera quant à elle déplafonnée à hauteur de 40 %, contre 35 % actuellement - le maximum autorisé par Bruxelles - pour les pertes les plus importantes.
Trois milliards d’euros de pertes au bas mot
Cet ensemble de mesures fait suite à l’appel conjoint lancé par JA et la FNSEA, le jeudi 15 avril, visant à « répondre à l'urgence et apporter des solutions durables » et spécifiques pour les jeunes agriculteurs encore plus vulnérables face aux aléas. Les deux syndicats alertent sur la nécessité d’adopter un « projet ambitieux pour la gestion des risques » qui pourrait être formulé à travers la prochaine Pac notamment. Les pertes au global pourraient avoisiner « plus de trois milliards d'euros, notamment en viticulture et en arboriculture », c’est ce qu’indique la FNSEA dans un autre communiqué.
Dans le détail, le syndicat majoritaire évalue, dans une première estimation, à un tiers les pertes dues au gel pour la filière viticole, soit « à peu près deux milliards d’euros de chiffre d’affaires en moins ». Si du côté de l’arboriculture, le bilan global des pertes se fait encore attendre, l’abricot figure déjà en tête des principales victimes, avec une perte estimée à l’heure actuelle à 60 %. Bruno Darnaud, président de l’AOP Pêches et abricots de France, déclarait ces jours-ci à l’AFP que l’ensemble de la filière arboricole pouvait s’attendre à perdre « la moitié » de sa production de fruits, soit un manque à gagner d’un milliard et demi d’euros. De l’Alsace au Sud-Ouest en passant par la Provence, presque aucune région ni culture n’a été épargnée par cette gelée noire, considérée comme inédite à certains endroits, depuis 70 ans.
Aurélien Hureau, 30 ans, installé en Gaec polyculture et élevage dans les Ardennes (08), a perdu un tiers de sa production de betterave :
« Mon père, qui a 60 ans, n’a jamais vu ça. D’habitude au moment des giboulées de mars, on peut avoir des petites gelées, mais pas comme ça. La betterave peut résister jusqu’à -5 °C, mais là on est descendu jusqu'à -8 °C. Certains mettent des bâches, mais c’est très coûteux, d’autres avancent les semis, mais là encore c’est risqué. Tout le monde est encore dans le flou, c’est trop tôt pour tirer un enseignement. Je ne sais pas encore si je vais resemer : même si la coopérative nous offre une dose, on ne peut pas traiter les semences resemées aux néonicotinoïdes. Après la jaunisse de l’année dernière, c’est un peu la double peine. »
Pierre-Marie Fahy, arboriculteur indépendant de Seine-et-Marne, a perdu près de 90 % de sa production de prunes, de cerises, de pommes et de poires :
« Il n’y a pas une nuit depuis la semaine dernière sans que l’alerte météo ne sonne. Mais se lever pour sauver quoi ? Ni la chaudière à gaz ni la tour de brassage ne sont efficaces. C’est ce qu’on appelle une gelée noire, sans aucun vent, donc aucune possibilité de jouer sur les courants d’air chaud. La végétation a totalement figé : bourgeons, boutons roses, premières fleurs, tout a brûlé. Mais on ne peut pas abandonner le bébé, on continue l’entretien des arbres parce qu’on joue déjà la récolte de l’année prochaine. C’est comme ça depuis que je me suis installé en 2014, une gamelle un an sur deux, la bonne année sert à remplir la trésorerie pour tenir l’année suivante. Tout ça rend très compliqué l’avenir de l'arboriculture. »
Sylvain Belloni, 32 ans, viticulteur dans les Bouches-du-Rhône, ne s’est pas préparé tant le gel est rare dans la région :
« On n'a jamais vu ça ! Je suis installé autour de l’étang de Berre qui a la chance d’avoir un microclimat tempéré. On a découvert ça le matin en se levant, ça a été vraiment la surprise. Est-ce que l’enfumage aurait été efficace ? On est quand même descendu à -3 °C, il faut remonter à 1946-47 pour retrouver un gel de cette ampleur. Ça fait mal au cœur, on n’a pas trop envie de remonter sur le tracteur, mais il faut continuer à s'en occuper. Après je peux m'estimer chanceux, je n’ai que 40 % de pertes, certaines vignes commençaient à peine à débourrer, on peut espérer une reprise. D’habitude, dans la région, c’est de la sécheresse dont il faut se prémunir. »
Tristan Jegun, 30 ans, viticulteur dans le Gers qui produit du vin en vrac, n’a vu que 10 % de ses vignes résister au gel :
« Seules mes vignes de Baco (ndlr., cépage créé spécialement pour l’Armagnac) ont résisté, sur le reste, on est sur de la moitié de récolte perdue pour le Sauvignon et Ugni blanc et presque 100 % de pertes sur le colombard, très répandu ici sur les côtes de Gascogne. La dernière fois qu’on a eu une gelée de cette intensité, c’était en 1991, on ne va pas changer d’encépagement pour ça. Par contre, on sait déjà qu’on aura moins de raisins la saison prochaine. Et si ça se reproduit à nouveau l’année prochaine, il y a un risque, pour nous les vraquiers, que les gros acheteurs se tournent à terme vers l’Espagne parce qu’on n’arrivera plus à les fournir. Mais pour l’instant, la priorité c’est qu’on réalise un vrai travail sur l’assurance, pour ne plus voir de jeunes JA non assurés comme on le voit en ce moment. »
Après sa plateforme « Des bras pour ton assiette » lancée avec succès en 2020 pour aider les exploitants à trouver de la main-d’œuvre durant le premier confinement, la start-up WiziFarm réaffirme son soutien aux agriculteurs et agricultrices touchés par le gel avec une nouvelle campagne : « Coup de froid dans l'assiette ». Le principe est simple, une fois arrivé sur le site de financement participatif MiiMOSA, il suffit à celles et ceux qui le souhaitent de faire un don aux producteurs et agriculteurs de leur choix. En contrepartie, ces derniers offrent un panier de produits, une dégustation de vin, une visite d'exploitation, etc.
L'opération est à retrouver sur www.coupdefroiddansnosassiettes.fr