Changer de vie, cultiver son bonheur : le défi de Delphine et Fabien Prunet
À Parcoul, Dordogne, au cœur de la forêt de la Double, Delphine et Fabien Prunet ont troqué leurs carrières para‑agricoles pour plus de 240 ha de prairies et de cultures. Depuis décembre 2022, ils élèvent brebis et vaches, ouvrent leurs portes en chambres d’hôtes et font rimer agriculture et partage.

Ils ont tous deux 35 ans et se sont croisés sur les bancs de l’Institut supérieur d’agriculture de Purpan, à Toulouse, cet établissement qui façonne les ingénieurs agricoles de demain. Avant de s’installer, ils ont œuvré dans le secteur… sans pour autant être agriculteurs. Fabien a d’abord rejoint le Crédit Agricole : « J’ai fait une alternance en dernière année, puis j’ai enchaîné un CDD ; d’abord comme conseiller financier en agence, puis comme référent pour les agriculteurs en difficulté financière », raconte-t-il. Delphine, elle, a intégré la Chambre d’Agriculture en tant qu’ingénieure formation : « J’élaborais des programmes de formation pour les exploitants et j’intervenais dans les établissements scolaires, notamment au sein des filières agricoles ».
Ils ont passé dix ans « au contact direct » du terrain, souligne Fabien. « Je me rendais chez les agriculteurs, m’imprégnais de leurs récits pour cerner leurs difficultés ; parfois, c’était éprouvant, tant on pénétrait dans leur intimité ». Pour Delphine, cette décennie a forgé « l’habitude d’une veille permanente sur l’actualité mondiale et d’un lien constant avec l’extérieur. Cela lui a permis d’être consciente qu’« une exploitation, c’est une petite partie d’un tout qu’on ne maîtrise pas uniquement sur sa ferme. Qu’il s’agisse des répercussions de la guerre en Ukraine ou des variations du prix de l’agneau, tout peut bouleverser la vie d’un exploitant ».

La quête de l’exploitation idéale
À partir de 2018, le couple écume les annonces : quinze fermes visitées, quinze leçons apprises. « À chaque visite, nous affinions nos critères : vivre à deux à la ferme, disposer d’une maison sur place, pratiquer le pâturage tournant, installer un double troupeau… », explique Delphine. D’abord focalisés sur le Périgord, ils élargissent leur périmètre jusqu’à tomber sous le charme de Parcoul, où ils trouvent le juste équilibre et un cédant prêt à transmettre en toute sérénité. « Le déclic est venu quand toutes nos attentes se sont retrouvées sur une même fiche de vente », se remémore Fabien. « L’entente fut immédiate, jusque dans la transparence comptable et administrative. Seul bémol : une maison un peu petite », vite compensée par un projet de rénovation et l’idée d’y créer trois chambres d’hôtes.
Un couple au rythme de ses ambitions

Ils se sont installés en décembre 2022 et forment une équipe soudée, aussi attentive l’un à l’autre qu’à leur cheptel. À leur arrivée, ils ont repris un troupeau de brebis et instauré une petite lignée de vaches Angus, souvenir du stage de Fabien au Canada. Leur leitmotiv ? « Rester cohérents : bio, herbe et pâturage tournant. Et si, en plus, on peut valoriser cette viande en vente directe, c’est encore mieux », répond-il. La vente à la ferme, tout comme les trois chambres d’hôtes qu’ils aménagent, se veut un véritable pont avec la société, pour le couple, c’est aussi la garantie de ne pas se couper du monde.

Pour renforcer le lien avec les consommateurs, Delphine et Fabien prévoient d’ouvrir un stand sur les marchés gourmands et nocturnes du Périgord, notamment ceux de leur village. Ces événements estivaux, animés par des groupes locaux, offrent une atmosphère conviviale où les visiteurs peuvent déguster des produits locaux sur de grandes tablées. « On veut montrer ce qu’on fait, casser les clichés sur l’élevage, accueillir des gens qui ne sont pas du milieu », confie Delphine. En combinant élevage respectueux de l’environnement et vente directe, le couple s’inscrit dans une démarche d’agriculture durable et ouverte sur le monde.
Lors de son stage au Canada, Fabien découvre l’Angus, une race bovine écossaise réputée pour sa rusticité et la qualité de sa viande. Séduit par ses caractéristiques, le couple décide d’introduire cette race dans son élevage. « L’Angus s’adapte parfaitement à notre système herbager en bio, avec un engraissement uniquement à l’herbe grâce au pâturage tournant », explique Fabien. « Sa viande persillée permet une meilleure valorisation de notre produit. L’Angus a cette image qualitative qui nous aide à nous démarquer des autres éleveurs en vente directe de Limousines. »

S’installer en famille, entre équilibre et imprévus
Au moment de leur installation, leurs enfants, Lola et Matéo, avaient respectivement un an et trois ans. « Hormis le changement de nounou pour Lola, qu’elle n’a même pas remarqué, et le changement d’école pour Matéo, l’adaptation s’est faite très facilement, raconte Delphine. À cet âge-là, les enfants s’adaptent rapidement. » Pour le couple, jongler entre vie professionnelle et familiale a nécessité une organisation rigoureuse. « Au départ, on a envie d’être à fond sur la ferme, mais on est vite rappelés à l’ordre par les enfants », explique Delphine. « Ils sont petits, donc on ne peut pas les laisser seuls à la maison, mais on ne peut pas non plus être constamment dans la stabulation avec les vaches. » Cette situation les a amenés à adopter un rythme quotidien permettant de consacrer du temps à la fois à leurs enfants et à leur exploitation.
Cependant, des imprévus peuvent survenir. Une nuit, le cédant les appelle. « Des vaches sont sur la route départementale, où la circulation est dense », leur informe-t-il. « Les enfants étaient déjà couchés, alors je suis restée avec eux pendant que Fabien allait voir », se souvient Delphine. « C’étaient bien nos vaches. Heureusement, le cédant et un voisin sont venus l’aider à les ramener. » Cette entraide locale est précieuse pour le couple. « On a été très bien accueillis quand on s’est installés », souligne Fabien. « Cette solidarité est une des forces de l’agriculture, surtout en élevage, où on n’est jamais à l’abri d’un vêlage qui se passe mal ou d’une brebis qui a du mal à agneler. »
« L’administratif, plus lourd que prévu »
Dès les premiers mois, Delphine et Fabien ont été confrontés à des défis administratifs inattendus. « Reprendre un Gaec existant nous a privés de certaines aides de la PAC, annoncées seulement en mai, après un hiver d’agnelages », témoigne Fabien. « L’administratif a été un choc, plus lourd que prévu, frustrant et sans toujours de logique apparente. » « Il nous a fallu prendre en main toute l’exploitation, de A à Z, dès la reprise. Tout était déjà en route, le troupeau de brebis à gérer, les agnelages qui allaient démarrer, les vaches dans les bâtiments, le nouveau matériel à prendre en main. Notre chance a été l’aide du cédant, très volontaire, qui habite dans le village et sur qui on peut compter en cas de besoin », ajoute Delphine.
Malgré leur expérience dans le secteur agricole, le couple a été surpris par la complexité des démarches. « On savait qu’il y aurait des paperasses à remplir, mais on n’avait pas mesuré à quel point », confie Fabien. Nos différentes expériences para-agricoles auraient dû nous faciliter la tâche, mais certaines procédures semblaient déconnectées de la réalité du terrain. » Le couple a dû consacrer beaucoup plus de temps que prévu aux formalités administratives, jonglant entre les impératifs de l’exploitation et les échéances réglementaires. « Il ne fallait pas se louper, car réglementairement, il y a des deadlines à respecter. Sinon, on peut se confronter à des pénalités ou passer à côté de certaines aides », souligne Delphine.
Concilier vie pro et vie perso
Delphine et Fabien ont fait de leur ferme un projet de vie à deux, où chaque décision est partagée. Leur force réside dans cette complémentarité, qui leur permet de concilier les exigences du métier avec leur rôle de parents. Aujourd’hui, leur plus grand défi reste de préserver un équilibre. « On pourrait bosser 24h/24 sur une ferme. Mais on a choisi de vivre ici, pas de s’y enfermer », explique Fabien. « Ce qui nous sauve, c’est de s’être installés ensemble, sur place. Et de s’imposer des limites, pour garder une vie de famille », ajoute Delphine. Au fond, Delphine et Fabien ne cherchent pas à prouver qu’ils savent tout faire. Mais qu’on peut encore croire en une agriculture humaine, ouverte et résolument ancrée dans le réel.
- Installation
Décembre 2022, dans la Gaec du Reclaud sur la commune du Parcoul (Dordogne) - Surface et système
- Agriculture biologique
- Pâturage tournant
- Cheptel reproducteur
- 440 mères de race Blanche du Massif central
- Environ 60 vaches Limousines
- 13 vaches Angus (+ quelques croisements)
- Élevage et valorisation
- Agneaux : vente en bergerie entre 3 et 4 mois et demi
- Veaux : broutards engraissés majoritairement en France (quelques-uns en Italie ou en Espagne)
- Bœufs Angus : mâles castrés élevés jusqu’à 3 ans
- Reproductrices Angus : toutes les femelles conservées pour le renouvellement
- Circuit de commercialisation
- Vente directe de la viande à la ferme
- Trois chambres d’hôtes en projet pour créer un lien direct avec le grand public