« Si je me suis engagée, c’est pour ne pas subir le choix des autres »
Élue présidente du Ceja en juin dernier, Diana Lenzi porte une vision ambitieuse pour les jeunes qui s'installent en agriculture. Viticultrice en Toscane, elle a accepté de répondre aux questions du JA Mag. (Retrouvez l'intégralité du reportage réalisé en Italie dans le numéro Janvier-Février 2022 (n°779)).
Comment vous est venue l’idée de vous présenter à la présidence du Ceja ?
J’ai débuté mon mandat au Ceja en 2019 en tant que représentante du syndicat Anga (syndicat agricole italien, NDLR). Lorsque les élections du Ceja se sont approchées, je me suis dit pour plusieurs raisons que c’était le moment d’utiliser mon expertise au niveau européen. Une façon pour moi aussi d’élargir ma compréhension des sujets. J’ai suivi un programme de formation avec Jannes Maes (l’ancien président du Ceja) délivrée par la WFO, l’Organisation mondiale des agriculteurs.
Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontés les jeunes agriculteurs ?
Tout le monde parle de l’importance de renouveler les générations dans ce secteur. Lorsque l’on regarde le nombre d’agriculteurs, nous sommes il est vrai une minorité. Mais très peu de politiques en réalité encouragent le RGA, et permettent aux agriculteurs de grandir. Le système actuel ne permet pas de reprendre des exploitations avec la garantie de réussir. Car ces politiques destinées aux jeunes agriculteurs sont court-termistes.
Si vous prenez la première aide à l’installation, de 40 000 euros, oui je la veux, bien sûr, ça va m’aider à commencer mon business, mais est-elle suffisante ? Bien sûr que non. Lorsque l’on commence à exploiter une ferme, les premières années sont les plus dures, car il faut du temps pour obtenir une bonne production, acheter des équipements, créer un marché, etc. Cet argent va être vite englouti. Le système qui dit promouvoir le RGA ne met pas tout en œuvre en matière d’accès à la terre, à la formation, aux différents impératifs nécessaires pour commencer ou reprendre une ferme. Même dans le cas d’une reprise, il y a des choses qui ont besoin d’être rénovées, d’être changées, de nombreux investissements sont à réaliser. Près de 75 % des demandes des jeunes agriculteurs sont refusées à la banque. C’est un fait.
Qu’est-ce que vous préconisez pour changer cette réalité ?
On a besoin d’un paquet de politiques délivrées sur les 15 premières années d’installation à mettre à disposition des jeunes agriculteurs. Ces derniers doivent être en mesure de solliciter des bonus, des primes, des schémas d’investissement, etc.
En Europe, plus de 65 % des agriculteurs sont âgés de plus 55 ans. Cela veut dire que dans 10 ans, ces 65 % seront en droit de prendre leur retraite. Qui produira à leur place ? En 2016, 11 % des agriculteurs avaient moins de 40 ans. On doit être aux alentours de 9 % aujourd’hui. Nous n’avons pas assez de jeunes agriculteurs.
La question de l’engagement revient régulièrement dans les discussions. Quelles sont les solutions pour donner envie aux jeunes de s’impliquer aujourd’hui ?
Il y a un désamour envers les associations, les groupes et les réseaux. Aujourd’hui, il existe des plateformes qui vous connectent avec qui vous voulez dans le monde. Mais pour le secteur agricole, je continue de croire qu’il n’y a rien de plus puissant qu’un syndicat agricole dédié à la cause des jeunes agriculteurs, car c’est un levier essentiel pour lutter contre l’isolement des agriculteurs. L’être humain n’est pas fait pour parler aux autres uniquement par téléphone ou ordinateur. Il a besoin de voir des sourires, des gens qui rient, de parler, de socialiser. L’agriculture nous met naturellement dans une position d’isolement, les associations de jeunes agriculteurs sont des endroits où l’on peut se faire des amis, voire des collègues, échanger sur ses problèmes, ses doutes, les rencontres qui s’y font permettent aussi de créer. C’est irremplaçable.
J’ai pu moi-même le constater, il y a un énorme fossé entre les réunions en ligne et celles en physique. J’ai été élue à distance, j’étais chez moi fin juin, les gens me félicitaient, mais c’était très bizarre. Je n’ai pas pu le célébrer en physique, entourée. Ce n’est finalement que la semaine dernière (début octobre 2021) que j’ai pu le faire. C’était tellement différent de voir les gens en vrai, d’observer les personnalités de chacun, ce genre de choses ne se voit pas à travers un écran.
En agriculture plus qu’ailleurs, il y a une myriade de compétences croisées, la création de synergies peut être fantastique, je ne suis pas sûre que d’autres secteurs aient ça à ce point.
Avez-vous un message à faire passer aux jeunes agriculteurs français ?
L’agriculture est le travail le plus gratifiant que vous puissiez faire parce qu’il change complètement votre vision de la vie. Vous devenez une personne avec des racines. Avoir un ancrage c’est merveilleux. Cela vous permet de voir comment la nature lutte. Vous ne pourrez jamais tomber par terre, vous pourrez être battu, mais à un moment, vous marcherez à nouveau un pas après l’autre. Car être agriculteur, c’est être résilient.
Ce que je voudrais aussi suggérer aux jeunes agris et à ceux qui envisagent de se lancer, c’est que même si l’agriculture a ses propres règles, elle doit être considérée comme un business. Cela ne doit pas être un gros mot, il faut réfléchir à comment être rentable. Pour réussir, le business plan et les compétences entrepreneuriales doivent être solides. Cela ne veut pas dire chercher à être millionnaire, mais il est important de gagner suffisamment pour subvenir aux besoins de sa famille, de son exploitation, de ses salariés, dans le but aussi de réaliser des investissements et d’être en mesure de partir en vacances. Il n’y a rien de mal à penser comme ça. Quelquefois, certaines personnes qui s’engagent en agriculture l’oublient. Rien ne peut durer sans une base économique solide.