Moisson 2023 : une récolte des céréales dominée par la Russie
À l’occasion de la conférence de presse organisée jeudi 24 août, le cabinet d’analyse Agritel a établi un premier bilan de campagne en dressant une analyse des marchés mondiaux du blé.
« Par nécessité, les importateurs sont de plus en plus dépendants des flux de la mer Noire, ce qui constitue un risque d’approvisionnement majeur. La fragilité des disponibilités mondiales de blé, les aléas climatiques et l’instabilité géopolitique contribuent à la forte volatilité des cours du blé », a indiqué Alexandre Marie, analyste en chef d’Argus Media France.
L’année écoulée a été marquée par des défis uniques en raison du conflit en mer noire et par une volatilité record. Ce qui met ainsi en évidence l’importance de la gestion de ce risque de prix à l’ensemble des acteurs de la filière agricole. Face à l’amplitude de celle-ci et à la vitesse de propagation des fluctuations de marché, une réelle détente des prix est observée en cet été 2023. Par rapport à l’année dernière, « le prix du blé se négociait à 40 % plus cher qu’aujourd’hui, soit l’équivalent de 100 euros et plus », annonce Gautier Le Molgat, Président directeur général d’Argus Media France. Selon lui : « On revient à deux ans en arrière en termes de niveau de prix sur le marché du blé. » Cet été, la récolte de blé tendre a été estimée à 34,8 millions de tonnes (Mt), contre 33,7 Mt l’année dernière, à la suite d’une enquête de rendement, menée auprès d’agriculteurs et d’organismes stockeurs présents sur le marché français.
Un rendement assez hétérogène sur l’ensemble du territoire, causé par une fin de récolte impactée par les pluies de fin de cycle qui ont dégradé la qualité des récoltes dans certaines zones ; essentiellement sur le Bassin parisien nord-ouest, le centre, le Grand-Est. La rentabilité est tout de même au-dessus de la moyenne avec 73 quintaux/hectares. La France est à + 1,4 % par rapport à l’année dernière quand le pays avait subi une forte baisse de productivité. Ce qui permet d’atterrir à 34,8 Mt, un chiffre correct qui permettra à la production française de répondre à la demande. « Elle est apte en termes de qualité et de quantité », ajoute Alexandre Marie. Après avoir répondu à la demande domestique, la production de blé français permettra d’offrir au moins 17 millions de tonnes sur le marché de l’exploitation.
Course à la compétitivité
Grâce à une production au-dessus de la moyenne, le disponible export de la France est conséquent ; avec un débouché potentiel estimé à 7,5 Mt pour l’Europe et 9,5 Mt pour les pays tiers. L’export vers la Chine fait aussi partie des solutions possibles avec un débouché moyen de 11 Mt par an depuis trois ans, dont 2 Mt sont exportés par la France.
Les autres éléments clés de la valorisation des productions du blé tendre en France sont les flux avec les partenaires européens. Cette année, ces échanges vont être soutenus par les zones de la péninsule Ibérique, avec l’Espagne en tête. Ce dernier, ayant subi un accident de récolte majeur, voit sa production en baisse de 50 %. Les exportations vers le sud/Ouest de l’Europe, l’Italie et la Grèce particulièrement, seront correctes, notamment sur le blé meunier, informe l’analyste en chef d’Argus Media France.
À noter que, les partenaires historiques, que sont le Maroc et l’Algérie, sont devenus des marchés plus concurrentiels. En 2021, l’Algérie avait modifié son cahier des charges pour permettre en particulier aux Russes, mais à toute la mer Noire d'exporter plus facilement dans le pays dans un souci d’optimisation économique. Le Maroc a aussi revu son principe d’exportation. Dans cet ordre, « le blé français doit reconquérir ces partenaires et rester compétitif pour remplir les carnets de commandes à l’exploitation et réaliser cette performance de 9,5 Mt », s’est avancé l’analyste en chef d’Argus Media France.
Le blé français revient à la compétitivité. L’écart entre fin mai et fin juillet 2023 a été substantiel ne permettait pas au blé français de remplir les commandes du carnet d’exploitation. Depuis quelques jours, cet écart de prix est revenu plus proche de zéro, ce qui permet de relancer cette reconquête des marchés de l’exportation pour l’origine France.
Alexandre Marie, analyste en chef d’Argus Media France.
La domination russe doit-elle durer ?
D’emblée, les stocks d’entrées de la campagne russe, fixés à 17,4 Mt, ont été proches d’un record. Cela permet d’envisager une performance sur l’entièreté de la campagne, à 49 Mt contre 48,1 l’année dernière. La part de marché de la Russie avoisinerait alors, pour la première fois, un quart du commerce mondial. Une tendance qui semble se renforcer malgré le conflit russo-ukrainien, du fait de prix compétitifs. « Malgré la fermeture du corridor maritime de la mer Noire, les producteurs ukrainiens font preuve d’une grande résilience », rappelle Alexandre Marie. D’autre part, on constate une performance des rendements et une forte ténacité des agriculteurs à semer les cultures. Il est prévu que leur production, en 2023-2024, arrive à atteindre 20,5 % pour le blé ; ce qui leur permettra de participer au marché de l’exploitation. Par ailleurs, l’évolution des exportations ukrainiennes reste soumise au futur du « grain deal » — le 17 juillet, la Russie suspendait sa participation à l’accord qui permettait l’exportation de céréales ukrainiennes — et à l’arrêt des destructions dans les ports ukrainiens et fluviaux
« La domination russe doit durer. Le monde a besoin de sa disponibilité, car elle est nécessaire dans un équilibre précaire à l’échelle mondial », conclu l’analyste en chef d’Argus Media France.