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Les nouveaux agriculteurs en France : portraits d’une mutation

Le 20 mars, l’École supérieure des agricultures (ESA) d’Angers a publié une enquête révélatrice qui identifie cinq profils distincts des nouveaux agriculteurs. Héritiers ou reconvertis, ces parcours divers confirment qu’aujourd’hui, la transmission familiale ne suffit plus à expliquer les trajectoires d’un métier en pleine transformation.

Après une récolte en Famille (26, 07-2012). Archive JAMag

Trois chercheur·e·s en sociologie du laboratoire LARESSE de l’ESA d’Angers ont présenté l’enquête « Les nouveaux agriculteurs : qui sont-ils ? ». Devant élèves, journalistes et professionnels, ils ont illustré la diversité des parcours dans un secteur en pleine transformation. Caroline Mazaud, sociologue au sein de l’équipe ayant mené l’enquête, déclare : « Nos analyses montrent que le fait d’être enfant dagriculteur ou non ne suffit pas à expliquer la diversité des conceptions du métier. Dautres facteurs, tels que le niveau de qualification, l’expérience professionnelle antérieure ou encore les ressources précédemment accumulées, jouent aussi un rôle déterminant dans les parcours et les visions du métier d’agriculteur aujourd’hui ». Ils ont décelé cinq profils types de nouveaux agriculteurs, dénommés ainsi : « les héritiers bien préparés, les héritiers sans vocation, les classes populaires hors-cadre, les reconvertis des classes moyennes et les reconvertis des classes supérieures ».

Héritiers bien préparés

Ce groupe, le plus conséquent, regroupe 34,4 % des répondants (1 170 individus). Ils bénéficient d’une immersion précoce dans le monde agricole. « Dès l’enfance, 88 % participent aux travaux de l’exploitation familiale et acquièrent une expérience extérieure via stages ou emplois salariés. La jeunesse est marquante : 80 % ont moins de 35 ans et près de la moitié s’installent avant 25 ans », précise Antoine Dain, lui aussi chercheur en sociologie au laboratoire LARESSE. « Ce profil incarne la continuité générationnelle de l’agriculture, s’appuyant sur une transmission familiale forte et une socialisation précoce au métier. »

Héritiers sans vocation

Représentant 22 % de l’échantillon (752 individus), ces agriculteurs, issus majoritairement d’un milieu familial agricole (71 %), empruntent une voie différente. Selon les observations, « Leur entrée dans l’agriculture se fait tardivement, souvent après une première carrière d’employé (42 %) ou d’ouvrier (24 %) ». Leur parcours se distingue également par l’absence d’une formation agricole initiale pour plus des deux tiers, et un tiers n’a jamais travaillé sur une exploitation avant de s’installer. Comme le souligne l’un des chercheurs, « plus des deux tiers n’ont pas suivi de formation agricole initiale, et un tiers n’a jamais travaillé sur une exploitation avant de s’installer ».

Classes populaires hors cadre

Ce segment, qui représente 16 % des personnes interrogées (551 individus), se caractérise par des origines non issues de familles d’exploitants (97 %). Antoine Dain indique : « Ils s’installent sur des fermes extérieures à leur famille ». Leur expérience se forge principalement en travaillant sur des exploitations tierces, et leur volonté d’indépendance se conjugue à une véritable valorisation du travail manuel. Ce profil reflète « une dynamique d’ascension sociale, acquise par une formation initiale et une expérience salariée avant l’installation ».

Reconvertis des classes moyennes

Comptant pour 20 % de l’échantillon (667 individus), ces agriculteurs se lancent dans l’aventure sans héritage rural. Ils créent leur propre exploitation et accèdent aux terres via des agences immobilières, avec 20 % contre 6 % en moyenne. Antoine Dain observe : « Leur parcours est jalonné de plusieurs métiers, leur installation se fait tardivement, 31 % ayant plus de 40 ans. Leurs pratiques se distinguent par la préférence pour le circuit court, le bio et le maraîchage. 82 % d’entre eux n’ont pas de parents agriculteurs et s’installent en créant leur propre exploitation, accédant aux terres via des agences immobilières bien plus fréquemment que la moyenne (20 % contre 6 %) ».

Reconvertis des classes supérieures

Avec 8 % des répondants (257 individus), ces nouveaux agriculteurs, principalement issus de milieux urbains et de catégories socio-professionnelles élevées, « font le choix de l’agriculture après une carrière dans des secteurs de cadres ou intellectuels. Leur profil, à la fois atypique et hybride, révèle un retour vers des racines parfois oubliées associé à une solide qualification », affirme Antoine Dain. « Avant leur installation, plus de 80 % exerçaient une profession de cadre ou intellectuelle supérieure, et 85 % étaient titulaires d’un diplôme bac + 5 ou plus. Un tiers d’entre eux partage également leur vie avec un conjoint cadre ou intellectuel supérieur », poursuit-il.

L’enquête d’Agrinovo met en lumière une agriculture en pleine mutation. La diversité des parcours, qu’ils soient héritiers ou reconvertis, offre un éclairage précieux sur les enjeux actuels du renouvellement générationnel. Ces résultats apportent une meilleure compréhension des trajectoires et des aspirations des nouveaux agriculteurs et nourrissent la réflexion sur les dispositifs d’accompagnement nécessaires pour soutenir ce virage essentiel de la profession.

Caroline Leroux, Antoine Dain et Caroline Mazaud, chercheur et chercheuses en sociologie au LARESS, ont présenté les résultats de cette enquête.
Caroline Leroux, Antoine Dain et Caroline Mazaud, chercheur et chercheuses en sociologie au LARESS, ont présenté les résultats de cette enquête.