La méthanisation agricole divise
La méthanisation agricole n’a pas fini de faire parler d’elle. Les avis divergent au sein même de la communauté scientifique. Alors que certains vantent son intérêt agronomique, d’autres s’interrogent sur la réalité de ses bénéfices nets en termes énergétiques.
La mission d’information sénatoriale sur la méthanisation agricole suit son cours, avec un rapport attendu au mois de septembre. Après une table ronde organisée le 30 mars en compagnie des représentants des principaux syndicats agricoles, c’était au tour des professionnels de la recherche agronomique d’être entendus, le 6 avril. Différentes questions ont été soulevées comme la valeur agronomique du digestat ou le bilan énergétique du processus de méthanisation.
Valeur agronomique des digestats
En termes de biomasse, le digestat est le produit principal de la méthanisation. Sabine Houot, directrice de recherche à l’Inrae en a fait l’un de ses objets d’étude. « Avant on s’intéressait surtout à la production de biogaz, mais depuis une dizaine d’années, on se préoccupe aussi des digestats », a-t-elle rappelé en début de séance. Selon la scientifique, l’azote minéral fourni par le digestat est facilement assimilable par les cultures et pourrait remplacer une grande partie des engrais chimiques, à condition de maitriser le risque de volatilisation. « Il faut enfouir le digestat quand il ne fait pas trop chaud et quand il pleut, car la pluie va favoriser sa pénétration dans le sol », a-t-elle indiqué.
Généraliser les couverts végétaux
Pour Sabine Houot, les intrants mis dans le méthaniseur déterminent la qualité du digestat. Si historiquement, il s’agissait plutôt d’effluents d’élevage ou de résidus de récolte, un nouveau type d’intrant s’est développé, notamment chez les agriculteurs qui ne font pas d’élevage : les cultures intermédiaires. « Ce qui est intéressant avec la méthanisation, c’est l’appui qu’elle peut apporter à la généralisation des couverts pour protéger les sols en interculture » s’est réjoui Philippe Pointereau, directeur du pôle environnement de Solagro, avant d’ajouter : « L’intérêt de la méthanisation est justement de valoriser économiquement les couverts qui avaient jusqu’à présent un intérêt purement agroécologique ». L’agronome souhaite ainsi privilégier les cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive) plutôt que les cultures principales dédiées à la production d’énergie. Rappelons que depuis 2017, la proportion maximale autorisée de cultures principales dans le fonctionnement d’un méthaniseur est fixée à 15 % du tonnage brut. Actuellement, la France avoisinerait plutôt les 6 ou 7 %. Concernant les Cive, Sabine Houot a tenu à souligner un point de vigilance : « Il faut bien les maitriser pour garder un intérêt en termes de production de biomasse qui va entrer dans le méthaniseur, tout en limitant les risques associés à l’intensification de ces cultures qui pourrait avoir un impact sur les cultures principales ».
Des avis plus mitigés
Également présent à la table ronde, l’agronome Marc Dufumier a émis quelques réserves sur la méthanisation agricole. « Est-ce vraiment la meilleure manière d’utiliser les sols ? » s’est interrogé celui pour qui l’urgence en termes de souveraineté énergétique est plutôt de réintégrer les légumineuses dans les rotations. Jean-Pierre Jouany, ingénieur chimiste, était lui aussi un peu dubitatif. « Selon moi, la méthanisation n’est pas une méthode de valorisation des déchets », a-t-il souligné, évoquant par là le faible pouvoir méthanogène du lisier. Pour Nicolas Bernet, directeur de recherche à l’Inrae, ce n’est pas un problème. « Quand on utilise des déchets à faible pouvoir méthanogène comme le lisier, on complète avec des coproduits, par exemple des déchets verts qui vont avoir un rapport C sur N plus élevé et rendre les conditions de méthanisation plus favorables », a-t-il expliqué. Concernant la neutralité carbone de la méthanisation, là encore, les avis divergent. On a pu le constater tout au long de cette table ronde : la communauté scientifique est encore loin de parvenir à un consensus au sujet de la méthanisation agricole.
Et les agriculteurs dans tout ça ?
Pour Christophe Chatet, membre du conseil d’administration des jeunes agriculteurs, le plus important est que la méthanisation ne fasse pas concurrence aux ateliers de production déjà présents sur la ferme. Selon l’élu JA, l’agriculteur ou le groupement d’agriculteurs qui souhaite se lancer dans le processus doit déjà avoir un projet agronomique bien rodé. « En amont d’un projet de méthanisation, il est également impératif d’étudier la qualité et la quantité des ressources dont on dispose », ajoute-t-il. Le méthaniseur doit être dimensionné en fonction des ressources, car une fois en place, il ne s’arrête plus ! « La maitrise des ressources est la condition essentielle pour ne pas dériver vers une concurrence avec les productions agricoles, et notamment l’élevage », insiste l’agriculteur. Finalement, pour Christophe Chatet, un projet de méthanisation doit se réfléchir avec autant de sérieux qu’un projet d’installation.
Technique, complexe et soulevant de nombreuses questions, la méthanisation agricole est loin de faire l’unanimité. Les conclusions de Daniel Salmon, rapporteur de la mission sénatoriale sur le sujet, sont attendues en septembre, mais pour l’heure, celui-ci se montre plutôt mesuré concernant l’intérêt d’aller encore plus loin dans son développement.