Grand Oral : six candidats à l'élection présidentielle font part de leurs propositions pour l'agriculture
Le Grand Oral organisé par le conseil de l’agriculture française (Caf) s’est tenu comme prévu à Besançon le 30 mars à l’issue du congrès de la Fnsea, à peine deux semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle. Six candidats sur douze y ont participé.
Six candidats sur douze ont participé au Grand Oral organisé par le Caf mercredi 30 mars : Fabien Roussel, Emmanuel Macron, Marine Le Pen, Valérie Pécresse, Éric Zemmour et Jean Lassalle. Les trois candidats ayant moins de 2 % d’intentions de vote dans un sondage Ifop datant de début mars, à savoir Nathalie Arthaud, Philippe Poutou et Nicolas Dupont-Aignan, n’étaient pas conviés. Trois autres candidats – Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot – ont pour leur part « décliné l’invitation », a précisé Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA et du Caf. C’est donc en comité réduit que s’est tenu ce Grand Oral, avec Fabien Roussel comme seul représentant de la gauche. Emmanuel Macron, « retenu par le conseil de défense et le conseil des ministres », n’était physiquement pas présent. Il a toutefois été soumis au même exercice que les autres candidats : un discours de 10 minutes suivi de 27 minutes de questions/réponses. Préenregistrée, son intervention a été diffusée après celle de Fabien Roussel.
Contre toute attente, et avec seulement 1 % des intentions de vote des agriculteurs d’après un sondage Ifop pour la FNSEA, c’est Fabien Roussel, le premier des candidats à se prêter à l’exercice, qui a suscité le plus d’enthousiasme de la part de l’auditoire. Après son discours dynamique et non dénué d’humour, les suivants ont semblé manquer d’entrain. Marine Le Pen, sur la défensive, a livré un discours âpre et a eu tendance à répondre à côté des questions qui lui étaient posées. Éric Zemmour et Valérie Pécresse ont paru peu sûrs d’eux. L’intervention d’Emmanuel Macron, dans la continuité de sa politique actuelle, était conforme à ce à quoi on pouvait s’attendre. Idem pour Jean Lassalle qui, malgré un discours décousu, n’a pas eu l’air de décevoir son auditoire, bien au contraire. En terrain conquis auprès de ses « frangins », Jean Lassalle, dernier candidat à intervenir lors de ce Grand Oral, a réchauffé l’ambiance de la salle. Il faut dire que celle-ci s’attendait plus à se divertir qu’à de réelles propositions avec le candidat du mouvement Résistons !.
Les propositions pour faciliter le renouvellement des générations
Malgré des interventions inégales, ce Grand Oral a eu le mérite de permettre de mieux cerner les programmes agricoles des candidats présents. Sans surprise, tous ont fait la promotion de l’agriculture française. Alors que Fabien Roussel « défend une agriculture française », pour Emmanuel Macron « l’indépendance alimentaire de notre pays est non négociable ». Marine Le Pen, quant à elle, souhaite que « les produits français soient la norme, et les produits importés l’exception ».
Mais pour une agriculture forte, il faut des agriculteurs. Aussi, Fabien Roussel se fixe l’objectif d’au moins 500 000 agriculteurs en 2030 (contre environ 400 000 aujourd’hui), ce qui suppose d’installer « entre 20 000 et 25 000 agriculteurs par an ». Pour ce faire, il entend « doubler le fonds d’installation pour les jeunes agriculteurs », « investir dans la formation agricole », mais aussi « nationaliser une banque pour garantir des prêts bonifiés aux entreprises ». « Je mettrai en place des taux négatifs : une banque vous prête 100, et vous remboursez 80 ! » a-t-il indiqué sous les acclamations de la salle. Il souhaite également la création d’une compagnie d’assurance publique qui « fera baisser le coût des cotisations pour toutes les exploitations agricoles ». Emmanuel Macron a lui aussi manifesté sa volonté d’aller plus loin dans le renouvellement des générations. Pour atteindre les 20 000 installations par an, il compte « lutter contre les déserts vétérinaires, investir dans les formations, faciliter l’accès au foncier et protéger les terres agricoles des achats étrangers ». Marine Le Pen veut pour sa part faciliter la reprise des exploitations familiales en « exonérant les successions de tout impôt à condition que l’exploitation reste entre les mains de l’héritier durant 10 ans ». Une proposition partagée par Éric Zemmour, qui a par ailleurs indiqué vouloir « augmenter la DJA » et « simplifier les procédures d’installation et d’achat de foncier ».
Regard sur l’Europe
Plutôt optimiste, Emmanuel Macron a estimé que « pour la première fois, la Pac porte un agenda social et environnemental ». Ne souhaitant ni « surtransposer » ni revoir les ambitions françaises à la baisse, il a indiqué vouloir « pousser l’agenda français au niveau européen pour que [nos] objectifs soient imposés aux autres pays ». Fabien Roussel a de son côté regretté la concurrence qui existe au sein de l’Union européenne (UE). « Les mêmes règles ne sont pas respectées et appliquées par tous les pays de l’UE », a-t-il déploré. Alors qu’« il y a des pays au sein de l’UE où le SMIC est à 300 ou 400 euros par mois », il faudrait selon lui « des règles sociales équivalentes ». « Il va falloir mener le “patriotisme économique” au sein de l’UE » a quant à elle déclaré Marine Le Pen. Jean Lassalle, de con côté, entend « retirer 3 milliards d’euros de participation de la France au budget européen pour les mettre dans les territoires » et soumettre l’utilisation de cet argent à un référendum.
Le Green Deal et la stratégie Farm to Fork
Durant les différentes interventions, la stratégie Farm to Fork, portée par la Commission européenne dans le cadre du Green Deal ou « Pacte vert pour l’Europe », a été malmenée, qualifiée « d’irréaliste » par Éric Zemmour ou encore de « funeste projet » par Marine Le Pen. Cette dernière a assuré qu’elle se « battrait pour qu’elle ne soit pas appliquée sous sa forme actuelle ». Dans la même lignée, Valérie Pécresse a indiqué vouloir elle aussi mettre fin à Farm to Fork, « une pure folie ». Emmanuel Macron s’est montré plus tempéré sur la question. « Je vous sais très inquiets sur le Green Deal européen et sa stratégie Farm to Fork, mais il nous faut réussir à combiner les deux [productivité et objectifs verts européens, NDLR] et c’est possible à condition d’investir ». Sur ce sujet, on ne peut que regretter l’absence des deux candidats porteurs de projets plus tournés vers l’écologie – à savoir Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon –, qui auraient pu donner du grain à moudre et susciter plus de débats.
Sécurité des agriculteurs et des exploitations agricoles
Le sujet de la sécurité des agriculteurs, de leurs exploitations et de leurs installations est revenu à de nombreuses reprises lors de ce Grand Oral. Fabien Roussel a fermement condamné les dégâts sur les bassines d’eau et la récente attaque d’un train de marchandises transportant des céréales. « Arrêtons de nous tirer des balles dans le blé ! » a-t-il réagi avec une pointe humour malgré l’importance du sujet. Marine Le Pen, quant à elle, a semblé se tromper de débat. « Les campagnes sont victimes d’une délinquance inadmissible, d’origine étrangère » a-t-elle déclaré avant de se faire retoquer par Christiane Lambert elle-même. « Nous avons besoin de main-d’œuvre étrangère pour nos vignes notamment… Ceux qui viennent taguer nos bâtiments et détruire nos bâches ne sont pas des étrangers ! » a rappelé la présidente de la FNSEA, légèrement agacée. Éric Zemmour s’est lui aussi quelque peu égaré en parlant « d’agriculteurs de plus en plus agressés par des bandes étrangères ». Plus pragmatique, Valérie Pécresse a promis l’« impunité zéro » pour tous ceux qui se permettent des dégradations. Emmanuel Macron s’est quant à lui félicité de la création durant son mandat de la Cellule Déméter, tout en jouant la carte de l’apaisement. « On a très longtemps opposé agriculture et écologie, mais je crois à cette réconciliation des agendas », a-t-il estimé.
Innovations, retraites, alimentation…
Parmi les autres propositions notables faites par les candidats lors de ce Grand Oral, on peut retenir celles concernant l’innovation. Emmanuel Macron compte investir pour produire en France « de nouveaux engrais moins émissifs en GES (gaz à effet de serre, NDLR) ». Dans la même veine, Valérie Pécresse, favorable aux NBT (New breeding techniques) et à l’innovation génétique, « croit en une agriculture de progrès » et souhaite mettre en place un plan d’aide à l’investissement dans chaque filière. Le sujet des retraites a aussi été abordé. Valérie Pécresse ambitionne « une grande réforme des retraites » pour que « plus aucun Français qui a cotisé toute sa vie ne parte sans un SMIC net ». Elle promet par ailleurs, si elle est élue, de mettre en place dès le mois de juin « l’indexation des retraites sur l’inflation ». Éric Zemmour propose de son côté une baisse de la contribution sociale généralisée (CSG) pour les petites retraites, ce qui permettrait selon lui « de les augmenter de 600 €/an ».
Enfin, les candidats ont fait des propositions dans l’objectif de redonner du pouvoir d’achat aux Français en faveur de leur alimentation : mise en place d’un chèque alimentaire pour Emmanuel Macron, d’un « ticket paysan » pour favoriser les circuits courts pour Jean Lassalle, TVA à taux zéro sur un panier de 100 produits d’hygiène et alimentaires de première nécessité ainsi que le renforcement des budgets dédiés à l’aide alimentaire pour Marine Le Pen, repas à 1 euro pour les familles les plus pauvres pour Valérie Pécresse, mise en place d’un fonds alimentaire national doté de 10 000 euros par an pour généraliser le repas à 1 euro dans la restauration collective pour Fabien Roussel. « Mais comment inculquer la valeur de l’alimentation avec des repas à 1 euro ? » se sont toutefois interrogés les membres du Caf.