Filières

Filière bovine : un rapport du Sénat qui détone

Permettre l’entente des prix entre producteurs est la proposition phare d’un rapport parlementaire présenté le 24 septembre. Son auteur, le sénateur LR Jean Bizet, dénonce l’inadaptabilité des règles à la concurrence pour le secteur agricole.

charolaises

« Les organisations de producteurs, c’est bien, mais il faut aller plus loin. […] Les OP n’ont pas le droit de fixer un prix », explique le sénateur LR Jean Bizet lors de la présentation de son rapport intitulé Agriculture et droit de la concurrence : redonner aux agriculteurs français un pouvoir de marché, le 24 septembre. Le président de la commission des affaires européennes du Sénat s’appuie sur l’exemple d’une loi aux États-Unis nommée Capper Volstead Act du 18 février 1922 et toujours en vigueur, qui permet aux associations agricoles de fixer des prix en commun. Dans un contexte où les fonds publics tendent à se réduire, cette mesure rehausserait selon lui les revenus des agriculteurs et permettrait, par ricochet, de réduire les lignes budgétaires de la Pac.

Cinq difficultés identifiées

Cinq principaux points de blocage dont pâtirait la filière sont listés dans le rapport. Tout d'abord, le décalage persistant entre l’offre et la demande. « Je sais que la profession ne veut pas toujours l’entendre, mais une partie de la filière ne se focalise pas sur ce que veulent les consommateurs », observe le sénateur. La France, explique-t-il, a une stratégie orientée vers la production d’animaux lourds. Lui, au contraire, propose d’abattre à 16-18 mois pour obtenir de la viande plus jeune, persillée et éthique d’un point de vue empreinte carbone. En ce sens, il propose que l’attribution de l’Aba (Aide aux bovins allaitants) soit en totalité ou en partie réservée aux animaux abattus à cet âge. « Oui, le chèque est plus gros quand on vend un animal plus lourd, mais il faut évaluer les gains et dépenses au global. Un animal abattu à 30 mois, ce sont 150 kg de plus de viande que celui abattu à 18 mois. Mais combien a coûté l’animal pendant ce différentiel de temps ? », interroge Jean Bizet.

Le rapport dénonce dans un second temps l’attentisme de l’interprofession, « même si des efforts ont été faits avec le label rouge, le label bio… ».

Jean Bizet pointe également le statu quo du modèle économique. « Pour ne pas le citer, Bigard représente 40 % de l’abattage. C’est un industriel qui se dit satisfait de son modèle économique, sans se soucier de savoir si celui-ci satisfait la trésorerie des éleveurs ».

Autre point relevé, l’absence de stratégie pérenne à l’export. « Le psychodrame organisé par la filière bovine prend en otage les filières lait, vitivinicole et sous label », déplore Jean Bizet qui enfonce le clou : « On ne peut pas dans les négociations internationales se caler sur le maillon faible d’une filière qui ne veut pas se réformer ».

Enfin, dernier point, le sénateur observe une tendance naturelle à l’individualisme de nombreux éleveurs.

Engraisser les broutards en France

Sur le marché des broutards, qui accuse des prix à la vente bien en deçà des coûts de production, le sénateur veut stopper l’hémorragie en proposant d’engraisser les bêtes à l’herbe en France afin d’« éviter que la plus-value se retrouve en Italie ou en Grèce ».

Contacté, Mathieu Théron, JA éleveur de limousines et référent sur le dossier bondit. « Je suis d’accord sur quasiment rien. Il dit qu’il faut faire de l’engraissement de jeunes bovins en France alors que c’est la seule catégorie de viande qu’on ne mange pas ici. C’est pour cette raison qu’on envoie les broutards en Italie. En plus de ça, on n’a pas les capacités d’engraissement. Chez moi dans le Massif central, on n’a pas suffisamment de maïs pour nourrir les taurillons. Et vu qu’il n’y a pas de politique de stockage de l’eau, on ne peut pas produire en quantité du fourrage de qualité. Donc si on se met à engraisser, ça va nous coûter trois plus cher que pour nos voisins italiens ».

Autre point de discorde, l’aide aux bovins allaitants. « Il veut conditionner l’Aba en fonction de l’âge d’abattage, mais il faudrait d’abord s’assurer qu’il y ait un marché rémunérateur pour l’éleveur en premier. Je rappelle que cette aide est faite pour maintenir le nombre de vaches allaitantes dans toutes les zones, y compris là où on fait naître des veaux ; avec cette mesure, les systèmes naisseurs seraient mis à mal, c’est d’une incohérence totale ». Ce rapport rentre en contradiction selon lui avec ce que souhaite insuffler l’interprofession bovine à savoir de la viande sous label rouge. « Les Français veulent du bœuf et de la génisse, ça veut dire de la viande de plus de 30 mois », conclut le JA.