Des vaches, de l'orge et de la bière
Unis par les liens du sang et une même passion pour la bière, Aurélien et Steven Clavel diversifient leur exploitation laitière en créant une micro-brasserie.
La région des Terres froides, située au Nord de l’Isère, est fidèle à sa réputation. À l’orée du village de Biol, un épais brouillard enveloppe les vallons. On entrevoit à peine quelques haies de noisetiers sauvages recouvertes de givre. Le froid, humide, glace jusqu’à la moelle. Un contraste saisissant avec la chaleur qui émane de la micro-brasserie des frères Clavel. Encore que. « Je n’aurai pas dû mettre cette fenêtre-là », déplore Steven, 26 ans, en désignant l’ouverture du rez-de-chaussée. « C’est la seule qui n’est pas à double vitrage, elle laisse passer le froid. »
Au Gaec des Terres froides, Serge (le père), Aurélien et Steven (les fils) sont complémentaires. Ils partagent tous les travaux agricoles, mais chacun supervise une production. Aurélien, 33 ans, est responsable du troupeau de laitières. « On a 55 vaches, des montbéliardes et des prim’hosltein, dont le lait sert à faire du fromage saint-marcellin IGP et du saint-félicien. » La production laitière est « en vitesse de croisière », même si Aurélien n’a pas fini d’amortir les investissements engagés lors de son installation, il y a dix ans. Alors, quand Steven décide de s’installer en mars 2017, le Gaec choisit de se diversifier. Les deux frères plantent 5 ha de noyers et de noisetiers ainsi qu'1,5 ha d’orge de brasserie. Car leur projet phare, c’est de vendre leur propre bière. Une bière artisanale baptisée « la bière des Frères Clavel », en clin d’œil aux fameuses bières d’abbaye.
Encouragés par un brasseur du coin
Grands amateurs de bière, Aurélien et Steven ont commencé à brasser dans leur garage il y a trois ans, pour leur propre plaisir. D’abord en utilisant des kits de bière à faire soi-même. Puis en testant plusieurs types de malts dans une cuve de 50 l.
« C’est comme faire de la cuisine, résume Steven. On essaye, on modifie avec des houblons qu’on aime bien, différents malts pour donner le côté biscuit, caramel ou café torréfié, et des épices aussi parfois. »
Ils élaborent ainsi cinq recettes : une blonde Indian pale ale (IPA), une ambrée, une triple rousse, une blonde au miel et une noire vanille qu’ils font goûter à leurs amis. « Les gens les trouvaient plutôt bonnes, ils étaient demandeurs », raconte Aurélien. Jusqu’au jour où un brasseur du coin les encourage dans cette voie : « Il n’arrivait pas à fournir toutes ses commandes et disait qu’il y avait une place à prendre. »
Les frères Clavel passent donc à l’échelle supérieure. Sous l’impulsion de Steven, ils réaménagent une ancienne cellule de stockage de céréales avec deux cuves de brassage de 500 l, quatre cuves de fermentation, un refroidisseur à plaques, du matériel d’embouteillage et d’étiquetage. En tout, sept mois de travaux et 100 000 € d’investissements (dont 30 000€ d’aides et 6000 € de financement participatif). « Notre objectif est de produire 15 000 litres de bière par an et de dégager un troisième salaire complet d’ici deux ans, » indique Aurélien.
Facile de faire de la bière ? Pas tant que ça.
« Il faut être très méticuleux en matière de propreté pour qu’il n’y ait pas de bactéries qui empêchent la bonne fermentation de la bière, explique Aurélien. Et il y a tout un protocole à respecter concernant les températures et les dosages. »
Alors Steven consigne tous les procédés de fabrication dans un cahier, jusqu’au moindre détail. Pour avoir une qualité constante d’un brassin à l’autre, il a fait poser trois thermomètres sur la cuve d’empâtage. « Quand on chauffe au gaz, c’est vraiment difficile de gérer la température, qui est beaucoup plus élevée dans le fond qu’en surface. Ces trois thermomètres me servent de points de repère. »
Ajustements et mauvaises surprises
Malgré cette rigueur, Steven et Aurélien ont connu quelques déconvenues. Brasser du 50 et du 500 l ne se fait pas dans les mêmes conditions. « Nous avons perdu deux brassins du fait des réglages et des ajustements en prenant en main le nouveau matériel, » explique Steven. Achetés à un négociant français qui s’approvisionne en Italie, ces équipements sont arrivés avec beaucoup de retard… et de problèmes : des cuves sans trous de fermentation ni barboteurs, une pompe au pas de vis inadapté, des bandes refroidissantes aux mauvaises dimensions. Résultat : la production a été lancée quatre mois plus tard que prévu. « C’était un truc de fou », se souvient Steven. « J’en conclus qu’il faut vraiment lire les cinq ou six pages d’un bon de commande, surtout les conditions de vente (….) et aller voir les brasseries voisines pour leur demander des adresses. »
Début janvier, ils ont commencé à écouler leur première cuvée. Les bouteilles de 33 et 75 cl se vendent essentiellement grâce au bouche-à-oreilles. Mais elles sont aussi proposées à la carte d’un restaurant à Cessieu.
« Plusieurs points de vente sont intéressés pour nous en prendre, mais pour le moment on y va doucement, car on n’a pas le stock complet. Quand on aura vraiment un très bon roulement, on pourra démarcher un peu plus. »
En attendant, les frères Clavel s’apprêtent à faire connaître davantage leurs mousses au Salon de la bière de Sains-Agnin-sur-Bion (le 25 mars) et envisagent de créer une bière blanche, plus estivale, à la demande des clients.