Les abeilles doperaient la rentabilité du colza plus que les phytos
Selon une publication scientifique récente, les bénéfices des pollinisateurs pour le porte-monnaie des colzaïculteurs justifieraient un virage vers des alternatives à l’agrochimie.
Cette étude, menée conjointement par l’Inrae et le CNRS, est "hors-norme" par bien des aspects. D’abord parce qu’elle a eu lieu entièrement au champ - et non pas en laboratoire, où les observations scientifiques sont certes plus faciles, mais où le comportement des plantes comme des insectes est artificialisé et pas toujours généralisable. Ensuite parce qu’elle n’a pas eu lieu dans un champ ou deux, mais sur pas moins de 294 parcelles cultivées appartenant à 103 agriculteurs différents, situées dans une plaine des Deux-Sèvres – et ce durant 6 ans. Enfin et surtout parce qu’elle a tenté l’exercice difficile de comparer la rentabilité de deux stratégies d’optimisation des rendements du colza : la favorisation des pollinisateurs versus l’usage des phytosanitaires.
Les conclusions des chercheurs donnent à réfléchir. A l’aide d’un dispositif sophistiqué et lourd de piégeage, capture et comptage des principaux pollinisateurs (abeilles sauvages, abeilles domestiques et bourdons), les scientifiques ont cherché à voir comment la diversité et l’abondance de ces auxiliaires se répercutaient en termes de rendement. Le résultat est saisissant : les parcelles où l’on trouvait le plus de pollinisateurs (10 genres différents) avaient un rendement de 37% plus élevé que celles où il y en avait le moins (1 seul genre), soit une augmentation de 10 q/ha. En termes chiffrés, ceci revient à un gain de 1,1 q/ha par genre de pollinisateur supplémentaire présent.
Ce résultat confirme de manière spectaculaire ce que suggéraient déjà diverses autres études, à savoir les bénéfices impressionnants (pour le colza) de la présence de pollinisateurs. Mais quid alors de l’utilisation des phytos, et en particulier des insecticides, dont chacun sait qu’ils ont un effet négatif sur les abeilles ?
L'étude chiffre les bénéfices impressionnants résultant des pollinisateurs
Pour les auteurs de l’étude, en matière de revenus, la messe est dite : « Un agriculteur, pour maximiser son rendement, doit choisir entre l’agrochimie et les abeilles. Et celui qui s’appuie sur les abeilles s’assure un revenu supérieur de 100 à 200 euros par hectare de colza relativement à celui qui mise sur les produits phytosanitaires. » Car les deux stratégies, expliquent Vincent Bretagnolle (CNRS) et Sabrina Gaba (INRA), produiraient des rendements proches, alors que les phytos ont un coût non-négligeable, contrairement aux abeilles qui sont gratuites.
Ces conclusions ont, il est vrai, été critiquées par d’autres agronomes, appartenant eux à l’Institut Terres Inovia. Ces derniers sont sceptiques sur le lien entre l’IFT (Indicateur de Fréquence de Traitement) et le revenu établi par les chercheurs du CNRS et de l’INRAE. Ils jugent ce lien méthodologiquement contestable - notamment compte-tenu de la diversité des contextes et des historiques entre parcelles, ainsi que de la grande variabilité des résultats d’une année sur l’autre.
Mais un point fait néanmoins consensus entre tous les chercheurs : l’importance de mobiliser les solutions « fondées sur la nature » pour un modèle agricole « gagnant-gagnant ». L’Institut Terres Inovia est lui-même à l’origine de préconisations visant à favoriser les auxiliaires, notamment la modération des traitements phytos, la création de zones refuges telles que haies, bosquets, bandes enherbées ou parcelles en agroforesterie, ainsi que d’autres mesures agronomiques (association de colza avec des légumineuses etc.). Des mesures que du reste la profession a déjà commencé à adopter.