Installation

Installation en agriculture : la Cour des comptes partage ses recommandations

Dans un rapport rendu public le mercredi 12 avril, la Cour des compte passe au crible la politique d’installation et de transmission en France.              

Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes lors du point presse tenu le mercredi 12 avril.

« Quel sera demain le visage de l’agriculture, et plus largement quels seront les visages des territoires ? », a interrogé Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes à l’introduction du point presse de présentation du rapport intitulé La politique d’installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles, rendu public le mercredi 12 avril.

Dans un contexte marqué cette année par le transfert aux régions de fonds et d’agents pour la gestion des aides non surfaciques du deuxième pilier de la Politique Agricole Commune (Pac), incluant la fameuse Dotation aux Jeunes Agriculteurs (DJA), la Cour des comptes estime que de « nombreuses incertitudes persistent en ce début 2023 » et que « des décisions restent à prendre quant au maintien des engagements existants en contrepartie de l’attribution de l’aide à l’installation des jeunes agriculteurs, notamment sur le plan d’entreprise et le lien avec le programme de professionnalisation ainsi que sur le devenir du programme national d’accompagnement à l’installation et la transmission en agriculture ».

« Il y a un défaut de pilotage stratégique national et régional », a ainsi déclaré Pierre Moscovici qui prône pour la mise en place d’une véritable articulation entre les deux échelons afin de « partager un cap ».

Prendre davantage en compte les différents profils

« Les instruments d’aide à l’installation demandent à être adaptés », a-t-il poursuivi. Le rapport rappelle ainsi qu’en 2021, « les points « accueil installation » et les centres d’élaboration du plan de professionnalisation personnalisé, principaux dispositifs du programme, ont accueilli respectivement 20 786 et 76 00 candidats ». Un delta notable qui s’explique selon l’institution par plusieurs raisons : « Absence de dispositif consacré à l’émergence de projets, inégale représentation des différents types d’agriculture parmi les opérateurs chargés d’accompagner les agriculteurs en dépit des engagements pris, manque d’individualisation des plans de professionnalisation personnalisés, méconnaissance des flux de population et des causes sous-jacentes des parcours des candidats. »

S’il a rappelé l’importance d’une aide comme la DJA, Pierre Moscovici a néanmoins indiqué que la moitié des candidats à l’installation « ne la demande pas » ce qui prouve, selon lui, que la pluralité des profils n’est pas assez prise en compte.

Les plus de 40 ans pas assez aidés

Comptant pour près d’un tiers des installations en France, les personnes de plus de 40 ans ne bénéficient, selon la Cour des comptes, que de trop peu d’aides. « Ils ne peuvent prétendre qu’à 9 % des aides publiques consacrées à l’installation », indique le rapport. Une population « qu’il ne faut pas négliger » a insisté Pierre Moscovici, estimant que le soutien aux plus de 40 ans pourrait représenter annuellement « jusqu’à 125 M€ pour 5 000 personnes, n’impliquant pas forcément de dépense additionnelle ».

Parmi les recommandations faîtes par la Cour des comptes figure la mise en place d’un observatoire national de l’installation-transmission (Onit), pourtant déjà prévue par la loi d’avenir pour l’agriculture du 13 octobre 2014.

Ce rapport arrive en pleine période d’élaboration du Pacte et de la loi d’orientation et d’avenir agricoles (PLOA), annoncés par le président de la République le 9 septembre 2022 aux Terres de Jim. Dans un contexte où 43 % des agriculteurs sont aujourd’hui âgés de 55 ans ou plus et donc susceptibles de partir en retraite d’ici 2033.

Cécile Gazo, doctorante en sociologie, spécialiste de l’installation qui a effectué sa thèse à l’INP-Ensat financé par le syndicat Jeunes Agriculteurs.

« Rien n’est encore vraiment établi en matière de politique stratégique aux échelons national et régional » - Cécile Gazo, doctorante en sociologie, spécialiste de l’installation qui a effectué sa thèse à l’INP-Ensat financé par le syndicat Jeunes Agriculteurs.

 

La Cour des comptes pointe le défaut d’une politique stratégique nationale et régionale. Quels pourraient être les moyens d’y parvenir ?

Il n’y a pas de réponse simple à une telle question puisque les politiques publiques en matière d’installation connaissent actuellement de grands changements, et ce, notamment depuis la décision de confier aux régions la gestion pleine et entière des mesures non surfaciques du Feader aux régions. Si bien que rien n’est encore vraiment établi en matière de politique stratégique aux échelons national et régional et on ne sait pas bien comment tout cela va s’articuler. Dans un contexte de dissociation entre le programme Aita (accompagnement installation-transmission) gardé dans le giron de l’État et la définition des critères d’accès à la DJA, elle-même encadrée par l’Europe, la politique publique de soutien à l’installation est aux premières loges s’agissant de définir de nouvelles pratiques de décentralisation. Comme la Cour des comptes, on ne peut que s’interroger sur la capacité des Conseils régionaux et de l’État à travailler de concert sur une politique qui cache de nombreux enjeux : souveraineté alimentaire, évolution des modèles agricoles, aménagement du territoire, protection des espaces naturels et agricoles, etc. Enjeux qui ne sont d’ailleurs pas perçus de la même manière par tout le monde si l’on inclut également les acteurs professionnels, associatifs et la société civile qui s’implique de plus en plus sur la question. Le défi de la PLOA sera de fixer un cap commun et partagé et des moyens humains et financiers adaptés.

La moitié des installés ne sollicitent pas la DJA. Est-ce parce qu’ils ne sont pas éligibles ou parce qu’ils estiment que l’accès à ces aides est trop compliqué ?

Tous les cas de figure existent. Les critères d’accès à la DJA ont beaucoup évolué contrairement aux représentations que l’on peut avoir d’elle. Depuis la loi d’avenir pour l’agriculture de 2014, ils sont régulièrement assouplis (fin de la surface minimale d’exploitation, suppression des contrôles de fin de PE, etc.) et plusieurs modulations ont été créées à destination des candidats à l’installation qui étaient jugés comme insuffisamment soutenus (hors cadre familial, création de valeur ajoutée et d’emploi, agroécologie). Toutefois, trois critères persistent, conformément au règlement européen qui définit le jeune agriculteur : il s’agit de l’écriture d’un plan d’entreprise témoignant de la viabilité économique du projet, d’être dépositaire d’un diplôme agricole de niveau bac, et d’avoir entre 18 et 40 ans. De fait, une bonne partie des candidats en reconversion professionnelle, qui ont plus de 40 ans et qui n’ont pas forcément la possibilité de consacrer plusieurs mois à l’obtention d’un diplôme qualifiant, ne peuvent bénéficier de la DJA. De même, l’accès aux aides est effectivement considéré comme compliqué, mais les porteurs de projet peuvent être accompagnés par différentes organisations à toutes les étapes de leur demande. Au vu des montants versés, la demande de DJA est engageante puisqu’il faut impérativement respecter son plan d’entreprise, s’engager à rester agriculteur au moins quatre ans et rendre des comptes à l’administration : cela peut aussi en décourager certains, d’autant plus s’ils souhaitent s’installer rapidement.  

Les plus de 40 ans représentent un tiers des installations en France. Sont-ils, comme le pointe la Cour des comptes, les grands oubliés des aides ?

Les installations des personnes de plus de 40 ans cachent plusieurs réalités : entre des reprises d’exploitation par des enfants ou conjoints d’exploitants et l’installation de personnes en reconversion professionnelle, il existe de nombreux cas de figure. On manque de données pour y voir clair. De manière générale, les personnes de plus de 40 ans qui cherchent à s’installer en agriculture ont des besoins spécifiques, notamment concernant l’accès à la formation continue, la possibilité d’acquérir de l’expérience ou d’accéder aux moyens de production. Car tous n’ont pas un capital ou des biens en propriété qu’ils pourraient mobiliser pour leur installation. Il serait donc erroné de penser qu’ils n’ont pas besoin d’aides pour s’installer. Certains conseils régionaux ont déjà mis en place des aides financières directes pour les candidats à l’installation de plus de 40 ans. Celles-ci sont bien moins élevées que la DJA, mais ont des critères d’accès plus souples. Toutefois, on peut effectivement s’interroger sur les besoins réels des personnes de plus de 40 ans, de même que les personnes non issues du milieu agricole en reconversion : n’auraient-elles pas avant tout besoin de la même reconnaissance que des candidats plus jeunes ? En effet, au-delà de l’aide financière, la DJA octroie des avantages et une reconnaissance dans le milieu agricole (notamment pour l’accès au foncier) en plus d’exonérations sociales et fiscales. Une chose est sûre, du fait de l’enjeu autour du renouvellement agricole et de leur nombre croissant, les plus de 40 ans ne peuvent plus être les oubliés des politiques publiques de soutien et d’accompagnement à l’installation.