Space 2022 : la relève agricole est dans la place !
Ils s’appellent Scoul, Anaïs, Elouen, Quentin ou encore Clarisse, et incarnent les visages de l’agriculture de demain. Le Space de Rennes, l’incontournable salon de l’élevage tenu du 12 au 15 septembre, a été l’occasion de rencontrer de nombreux jeunes qui souhaitent travailler dans le monde agricole. Tout aussi passionnée que réaliste, la jeune génération semble bien décidée à faire entendre sa voix en cassant les codes et idées reçues.
Les organisateurs du Space ne s’y sont pas trompés. En créant cette année pour la première fois un espace « jeunes » dans le hall 2 du salon, leur volonté était claire : donner la parole à celles et ceux qui vont demain être aux manettes des exploitations ou qui vont s’investir dans l’un des nombreux métiers proposés par le secteur agricole. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a inauguré cet espace dès son arrivée le mardi 12 septembre. L’occasion pour lui de répondre à des questions posées par des jeunes, qui en disent long sur le changement profond qui s’opère dans la manière de concevoir le métier, à l’exacte image du reste de la société.
« Comment rendre attractif le salariat ? », interroge ainsi Anaïs, 18 ans, qui aimerait s’installer d’ici une dizaine d'années en élevage caprin ou bovin, et qui en attendant, a décidé d’être salariée du Service de remplacement pour se faire un peu la main. « Aujourd’hui, beaucoup d’exploitations peinent à recruter. »
« Les exploitations grossissent de plus en plus ce qui est un frein pour les installations. Comment faire ? », interpelle Estéban, 19 ans, qui aimerait reprendre l’exploitation de son oncle en bovin lait.
« Est-ce que les agriculteurs vont dépendre toujours des aides ? », demande Clarisse, 19 ans, qui envisage un projet d’installation en lait et allaitant. « On n’est pas vraiment indépendant sinon », explique la jeune femme dont la question, loin d’être anodine, témoigne de la remise en question par la nouvelle génération du système actuel.
Le ministre a répondu en disant que « le salariat est une voie d’allègement de la contrainte, en particulier dans l’élevage », que l’« on n’installera pas sans rémunération », ou encore que la Pac, si elle est loin d’être parfaite, a quand même eu le mérite d’« assurer la souveraineté alimentaire à des prix raisonnables ».
Dans les allées du salon, les jeunes étaient omniprésents, venus en simple visiteur, en famille, avec leur école ou pour participer à certains concours, ils sont apparus beaucoup plus prompts que leurs ainés à partager leurs ressentis sur le métier d’agriculteur et l’avenir d’une manière générale.
« Nous sommes à un tournant de société », Marcel Denieul, président du Space.
« Ils ont raison de réinterroger complètement le métier ! abonde Marcel Denieul, ancien éleveur laitier et président du Space, c’est tout le but de cet espace jeunes : inverser le fonctionnement habituel en donnant la parole aux jeunes. Écoutons-les dire comment ils voient le métier, quelles sont leurs attentes. […] Je fais le parallèle avec le monde de la médecine. Les jeunes médecins qui s’installent ont une approche différente de ceux qui la quittent. Ils veulent privilégier la vie de famille et sociale. Les jeunes du monde agricole aussi. Nous sommes à un tournant de notre société. »
Moi m’installer ? Je ne sais pas trop…
« Comment donner envie à des jeunes de s’installer ? se demande Simon, 19 ans, étudiant en 2e année de BTS productions animales devant toute une audience réunie à l’occasion d’une conférence-débat sur l’installation et la transmission. Aujourd’hui je suis jeune, fils d’agriculteur et je me demande si je veux m’installer. Quand je vois mon père qui travaille plus de 70 heures par semaine pour gagner à peine le Smic et vivre grâce à des aides, ça me refroidit. »
Quelques rangées plus loin, Gautier, 20 ans, acquiesce. « Je partage le même point de vue. C’est quoi la limite de la passion ? Est-ce que je serai capable de faire ça tout le temps ? Toute peine mérite salaire comme on dit. On ne demande pas des mille et des cent, on veut une juste rémunération, être respecté, bien vu, et pouvoir subvenir aux besoins d’une famille. Mon père est agriculteur, et moi aussi je me demande si je ne vais pas faire autre chose au final. »
Face à eux sur l’estrade, Julien et Didier, tous deux éleveurs et membres du syndicat Jeunes Agriculteurs, sont à l’écoute. S’en suit un échange sans filtre d’une rare franchise. « Il y a dix ans, j’ai eu la même réflexion que vous. La difficulté du travail, les difficultés financières… Après, j’ai été salarié plusieurs années, ça m’a permis de mûrir mon projet, de voir ce qui me plaisait, ce qui me plaisait moins. La passion s’est renforcée », raconte Julien, 31 ans, installé depuis 2015 en bovin lait dans le Maine-et-Loire.
D’après lui, l’installation n’est qu’une étape, « la réflexion doit se faire bien avant ». Il insiste sur l’importance de faire « quelques années de salariat pour voyager, voir autre chose, découvrir d’autres manières de travailler ».
« Aujourd’hui, les prix des intrants augmentent, c’est vrai, les prix de l’énergie aussi. Mais il ne faut pas avoir peur de la conjoncture, sinon on ne fait rien dans la vie », ajoute Didier, 36 ans, éleveur de porc dans le sud Finistère, installé en 2019.
Tour à tour, les témoignages des deux compères ont semblé faire mouche auprès des jeunes. Les deux JA ont tenu à souligner l’importance du collectif. « Aujourd’hui je suis tout seul sur mon exploitation, mais à côté je suis très entouré : Cuma, voisins, entraide, réseau JA. Le collectif est considérable ! Avec les autres JA, on échange beaucoup sur nos façons de produire. On arrive très souvent à surmonter les difficultés », développe ainsi Julien.
« Il faut rendre l’élevage plus sexy », Charles Fossé, président de JA Bretagne.
Les doutes de ces jeunes à vouloir s’installer, Charles Fossé, éleveur laitier en bio et président des JA Bretagne les comprend aussi parfaitement. « Les jeunes issus du monde agricole sont souvent les plus durs et c’est normal, car ils connaissent le milieu. Les transmissions père-fils, en élevage laitier notamment, sont en baisse c’est indéniable. Ça ne se fait plus du tout automatiquement comme dans le temps. »
Mais alors, comment faire pour donner envie à ces jeunes ?
« Il y a un vrai enjeu de communication. Il faut rendre l’élevage plus sexy ce qui doit passer par un changement dans le discours : dire quand ça va bien, que l’on peut bien vivre de ce métier. Je pense aussi qu’il faut arrêter de véhiculer cette image de l’agriculteur qui travaille H24 tête baissée. On a du temps pour des loisirs ! Il ne faut pas se voiler la face non plus, on travaille avec du vivant, il y a des contraintes comme dans tout métier ! »
« Aujourd’hui, on ne cherche pas forcément à s’installer et rester sur la même voie toute sa vie. On voudra peut-être changer d’ici quelques années », lance François Valentin, 19 ans, en 2e année de BTS.
Didier hoche la tête en signe de compréhension et explique qu’aujourd’hui sur son exploitation il est tour à tour « fabricant d’aliments, comptable, céréalier, éleveur de porc… ». D’après lui, toutes les compétences acquises en agriculture sont de vraies plus-values lorsque l’on décide de se réorienter.
« C’est en effet un autre point majeur à prendre en compte, observe Charles Fossé, les jeunes générations ne s’installent plus pour durer, c’est fini ce temps et c’est véridique dans tous les métiers, faire carrière c’est terminé. À nous de nous adapter. »
Mais comment faire dans un secteur qui par nature s’inscrit dans un temps long ?
« En facilitant la transmission peut-être ? », avance Charles Fossé.
« C’est un défi qui ne pourra être relevé que collectivement », Arnaud Gaillot, président de Jeunes Agriculteurs.
« Il y a deux gros enjeux indissociables. La première des batailles c’est d’avoir un prix payé rémunérateur, et ensuite, c’est de démystifier le métier d’agriculteur pour attirer de nouveaux publics », analyse Arnaud Gaillot, président de Jeunes Agriculteurs présent au Space. Selon lui, « la société est à un virage sur tout (notre façon de consommer, les modèles d’urbanisation et énergétiques, etc.) ». Pour y arriver, il en est convaincu, « il faut sortir du pur intérêt personnel, car c’est un défi qui ne pourra être relevé que collectivement ».
Avec la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, le secteur agricole est redevenu un enjeu géopolitique de premier plan, et ce, dans un contexte où 45 % des agriculteurs seront éligibles à la retraite d'ici 2027.
Croisés dans les allées du Space, beaucoup de jeunes étaient présents. Tous passionnés d’agriculture et en particulier d’élevage.
« C’est une passion, je suis né dedans. Le fait de travailler avec le vivant, d’être son propre patron, de prendre les décisions, c’est polyvalent entre le travail avec les animaux, les nourrir, aller aux champs, faire de la comptabilité, utiliser les nouvelles technologies […] Aux jeunes qui hésitent ? Passez le pas ! Construisez un projet qui fonctionne ! » partage Scoul, 26 ans, éleveur installé depuis janvier 2022 à Gourin dans le Morbihan.
« L’allaitant pour moi c’est une passion. […] À mon sens, l’avenir, ce sera de manger moins de viande, mais de meilleure qualité et un peu plus chère. […] Ce qui me plaît le plus dans ce métier ? Le fait de travailler en extérieur, de me sentir intégré à un territoire, d’aller voir les bêtes pâturer, de vivre au gré des saisons », s’enthousiasme Jean-Marie, 25 ans, en parcours d’installation en vaches allaitantes, poules pondeuses et grandes cultures.