Innovations

NGT en débat : l’Union européenne à la croisée des chemins

Entre innovation et tradition, le règlement des Nouvelles Techniques Génomiques divise les législateurs. Entre critères d’équivalence, brevetabilité, étiquetage et coexistence avec l’agriculture biologique, un compromis complexe se dessine.

Illustration des nouvelles technologies de sélection.

Depuis le début des années 2000, un vent d'innovation souffle sur le domaine de la biotechnologie végétale avec l'émergence des Nouvelles Techniques Génomiques (NGT). Ces méthodes modernes permettent de modifier le matériel génétique des organismes avec une précision inédite, sans nécessairement introduire de gènes étrangers, contrairement aux Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) traditionnels[1]. Cette technologie permet de gagner des années de recherche par rapport aux méthodes classiques de sélection variétale.

Parmi ces techniques, CRISPR-Cas9[2], souvent comparée à des "ciseaux moléculaires", se distingue par sa capacité à cibler et modifier spécifiquement des séquences d'ADN. Découverte en 2012 par Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, cette technologie a ouvert de nouvelles perspectives pour améliorer les plantes, notamment en renforçant leur résistance aux maladies et aux ravageurs, ou en optimisant leur rendement. Toutefois, cette avancée soulève des questions éthiques et réglementaires, notamment concernant la distinction entre NGT et OGM, ainsi que leur acceptation par le public et leur encadrement législatif.

Des critères d’équivalence entre précaution et innovation

Le projet de règlement ambitionne de favoriser le développement des plantes NGT « semblables au conventionnel ». Pour la Commission européenne, « une variété obtenue par ces techniques ne doit pas dépasser 20 modifications génétiques ». En revanche, le Parlement européen impose une limite, en « autorisant au maximum trois modifications génétiques par séquence codante et excluant de la catégorie 1 les variétés ayant généré une protéine chimérique ». Le Conseil, quant à lui, conserve le seuil de 20, calculé sur un gène monoploïde[3], adaptant ainsi l’approche aux réalités du génome.

La brevetabilité : point de tension entre les institutions

Initialement abordée en surface, la question des brevets est devenue l’un des points de friction majeurs. La Commission reconnaît que « la question des brevets a été soulevée par de nombreuses parties prenantes » et préfère reporter toute décision à une étude post-entrée en vigueur du texte. De son côté, le Parlement européen tranche en affirmant que « les plantes NGT, le matériel végétal, les parties de celui-ci, l’information génétique et les caractéristiques de processus qu’ils contiennent ne sont pas brevetables ». Une solution audacieuse qui n’a toutefois pas trouvé l’adhésion du Conseil, lequel exige désormais une « déclaration écrite » détaillant toute information relative aux brevets lors de l’autorisation de mise sur le marché.

Étiquetage : informer le public de manière appropriée

La question de l’étiquetage reste également épineuse. La Commission européenne opte pour une procédure « allégée », rendant obligatoire l’étiquetage uniquement des semences modifiées. Une position qu’épouse le syndicat Jeunes Agriculteurs. À l’inverse, le Parlement européen milite pour une transparence accrue, étendant cette obligation à tous les produits agricoles et alimentaires contenant des plantes NGT, « afin que les consommateurs soient clairement informés par une mention nouvelles techniques génomiques ». Le Conseil de l’UE, tout en s’accordant avec la version de l’exécutif sur les semences, précise néanmoins les informations indispensables à inscrire dans la base de données européenne.

Agriculture biologique et mesures de coexistence : un équilibre à trouver

Dans le secteur de l’agriculture biologique, l’usage des NGT demeure strictement encadré. L’ensemble des acteurs européens s’accorde sur l’interdiction d’utiliser ces techniques en agriculture biologique. La Commission européenne insiste pour que « les États mettent en place ​​​​​les mesures appropriées pour éviter la présence involontaire de végétaux NGT de catégorie 2 », sans pour autant imposer de règles spécifiques pour la catégorie 1. Tandis que le Parlement admet une certaine indulgence pour une présence fortuite, le Conseil maintient une interdiction stricte tout en permettant une marge de tolérance pour les cas accidentels.

Vers des négociations européennes sur les NGT

Depuis novembre 2019, l'Union européenne a initié une révision de sa réglementation concernant les nouvelles techniques génomiques (NGT). Cette démarche vise à adapter le cadre législatif aux avancées scientifiques en matière de modification génétique des plantes. Les institutions européennes s'apprêtent désormais à entamer des négociations décisives pour établir ce nouveau cadre réglementaire. Selon plusieurs sources, la première réunion de trilogue, réunissant le Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne, devrait se tenir après le 22 avril. D'ici là, les différents acteurs multiplieront les rencontres bilatérales pour harmoniser leurs positions. Ces négociations s'annoncent particulièrement complexes en raison des divergences persistantes sur des questions centrales telles que la brevetabilité des variétés obtenues par NGT et la traçabilité des produits issus de ces techniques [4].

[1] Les nouvelles technologies de sélection | Ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire

[2] CRISPR-Cas9 (prononcez « crispère ») fonctionne comme des ciseaux génétiques : il cible une zone spécifique de l’ADN, la coupe et y insère la séquence que l’on souhaite.

[3] La monoploïdie (également connue sous le nom de moplopoïde) est un terme utilisé en biologie pour décrire l'état d'un organisme lorsqu'il ne possède qu'une seule copie de chaque gène. Cette condition est différente de la diploïdité, où un organisme possède deux copies de chaque gène. Source : medicinka.com

[4] NGT: le Conseil trouve un accord, des négo interinstitutionnelles pour fin avril | Extranet JA