Néoruraux : pas de vague dans les campagnes après les confinements
Depuis le premier confinement, et la fuite vers la province de près de 20 % de la population parisienne, le fantasme de l’exode urbain fait les gros titres. Les citadins, lassés de payer le prix fort des appartements exigus, pourraient profiter de l’essor du télétravail pour abandonner les villes et courir se mettre définitivement au vert. Une tendance qui ne se vérifie pas.
L’idée de l’exode urbain, remise au jour récemment, n’est pas nouvelle. Yankel Fijalkow, professeur de sciences sociales à l'École nationale supérieure d'architecture Paris Val-de-Seine, rappelle que dès les années 1920, un courant de jeunes architectes d’URSS recommandent une « désurbanisation ».
Dans les années 1960 et 1970, le « retour à la terre » est prôné par des jeunes idéalistes pacifiques. Figures de proue de ce mouvement, les musiciens Bob Dylan et Paul McCartney s’installent avec femmes et enfants dans leurs propriétés campagnardes et revendiquent un rythme de vie plus sain. En France, après mai 1968, des jeunes urbains s’installent dans les campagnes désertifiées. Peu attirés par la production agricole, c’est avant tout le contact de la nature, la remise en cause de l’ordre établi et de la vie communautaire qui orientent leur choix.
La France des gilets jaunes
Le phénomène que l’on observe aujourd’hui, et qui est antérieur au confinement, est tout autre : il s’agit de pouvoir se loger décemment et de s’extraire de situations immobilières crispées. Le sociologue Benoît Coquard rappelle : « Les campagnes attirent également des personnes plus précaires qui ne peuvent plus payer de loyer en ville, mais ce ne sont pas les populations que les décideurs souhaitent attirer… »
C’est la campagne des « Gilets jaunes », la France périurbaine, où les déplacements sont longs mais les loyers moins chers, qui voit son nombre d’habitants croître. « Dans les métropoles, on multiplie les créations d’emplois et de bureaux, ce qui fait monter les prix, explique Jean Viard, sociologue. Les grandes villes perdent des habitants, qui vont s’installer en périphérie, dans ce que j’appelle les villes-jardins. Ce phénomène va s'accélérer après la pandémie, car on s’est aperçu qu’avoir un jardin, c’est génial. »
« On vit dans une œuvre d'art permanente »
Coraline, 67 ans, retraitée de l’éducation nationale, a été convaincue par la nature. À 56 ans, après une séparation, elle quitte Paris où elle a toujours vécu pour l’Oise, chez sa sœur. Elle réalise que la vie y est plus tranquille et moins chère. « Je n’aurais jamais imaginé supporter la vie loin de Paris, mais ici, tout est beau, quelle que soit la saison. On vit dans une œuvre d'art permanente. » Pas complètement décidée pour une vie campagnarde, elle loue un appartement dans une petite ville. Deux ans plus tard, elle saute le pas et achète une maison dans l’Aisne.
« L'appartement parisien de 110 m² a été vendu 530 000 €. Avec ma part j'ai acheté cette maison de 132 m², 200 000 €. Quand je l'ai visitée on a entendu le coq du voisin et l'agent immobilier était très embêté, alors que j'apprécie beaucoup. Je préfère ça à une campagne où les gens veulent vivre comme en ville : ils transforment leur maison en appartement moderne, ne supportent pas les animaux ni la boue sur leur voiture. »
Des résidences secondaires mais pas d'exode urbain
Ce sont surtout les retraités qui abandonnent les villes pour vivre à la campagne. Ceux qui font partie de la catégorie des « cadres et professions intellectuelles supérieures », les plus à même d’externaliser leur travail, et que les promoteurs et les politiques veulent attirer, ne coupent pas complètement leurs attaches à la ville. Ils préfèrent investir dans des résidences secondaires, où ils peuvent s’échapper le temps d’un week-end ou d’un confinement.
Pas de grand chambardement dans les campagnes, confirme le Conseil supérieur du notariat, qui note tout de même une « appétence » de la part des français pour les maisons individuelles avec jardin ; une tendance confirmée par les agents immobiliers sur tout le territoire, et qui devrait entraîner une hausse de 6,8% des prix. Les ruraux ne sont pas prêts de voir débarquer des hordes de Parisiens dans leurs campagnes.