Les chercheurs sur la piste des mystères de l'esca
L’esca, maladie du bois de la vigne, commence à livrer ses secrets, qui pourraient offrir des clés pour d’autres pathologies végétales.
Cela fait désormais deux décennies que les vignobles du monde se sont mis à dépérir. Pas à mourir en masse, évidemment, cela se saurait – mais à présenter des baisses de rendements et de longévité, qui causent tout de même en moyenne la disparition de 5 % du vignoble tous les ans !
Parmi les principales causes de cette inquiétante évolution, l’on trouve les maladies du bois de la vigne – maladies pas vraiment nouvelles, puisqu’elles sont déjà mentionnées dans des textes de l’Antiquité – mais qui n’en sont pas moins mystérieuses et complexes… Ces maladies du bois, en effet, dont la plus répandue est l’esca, « sont des maladies mettant en jeu plusieurs espèces de champignons, mais aussi sans doute des bactéries – il s’agit probablement d’un déséquilibre du microbiote de la plante » explique Chloé Delmas, chercheuse à l'Inrae Bordeaux-Aquitaine qui, depuis des années, tente de percer les secrets de cette maladie.
Parfois baptisée « apoplexie de la vigne », l’esca est notamment une énigme pour les chercheurs, parce que contrairement au mildiou ou à l’oïdium qui sont des maladies pour lesquelles il existe un organisme responsable bien identifié, les champignons impliqués dans l’esca sont également présents dans les ceps sains. On ne comprend donc pas clairement ce qui déclenche les symptômes, qui sont pourtant bien connus et destructeurs : apparition de stries typiques sur les feuilles, et surtout désagrégation du bois qui devient spongieux autour des vaisseaux. Symptômes imprévisibles, qui adviennent certaines années et pas d’autres, et dont l’intensité varie.
Une maladie impliquant plusieurs champignons
Les chercheurs se sont donc penchés sur les facteurs environnementaux, et notamment la sécheresse, pour expliquer les fluctuations de l’esca. Pour cela, il leur a fallu monter un protocole expérimental complexe, car la maladie est particulièrement difficile à étudier en laboratoire. Et pour cause : alors que beaucoup de maladies se laissent facilement inoculer à de jeunes plantules, qu’il est ensuite aisé de soumettre à différents tests, rien de tel chez l’esca. La maladie n’apparaît que chez les pieds de vigne âgés de plus de 7 ans, et n’est observable qu’en pleine terre !
Pour leur expérience rapportée dans la revue Pnas, Chloé Delmas et ses collègues ont donc arraché 51 pieds de Sauvignon Blanc âgés de 30 ans. « Nous les avons taillés façon bonsaï, précise la chercheuse, pour les faire rentrer dans des pots expérimentaux de 20 l où la consommation d’eau pouvait être mesurée en continu, afin d’avoir vraiment des données précises sur le stress hydrique ». Car, poursuit l’agronome, « la météo ne suffit pas à quantifier le stress hydrique, qui dépend aussi du type de sol, de la pente, des techniques culturales, etc. ».
Résultat ? Alors que certains pensaient que les sécheresses de ces dernières années avaient dopé l’esca, provoquant un regain de maladies du bois qui pourrait expliquer les dépérissements récents, il s’est avéré qu’il n’en était rien. En réalité, la sécheresse inhibe les symptômes de la maladie, qui ne s’expriment plus dès lors que le stress hydrique s’installe (ce stress reste dommageable pour la plante, même s’il est protecteur contre l’esca).
La sécheresse inhibe les symptômes de la maladie
« Nous cherchons désormais à comprendre par quel mécanisme la sécheresse agit, s’interroge la chercheuse. Est-ce directement sur les champignons, ou bien sur le système immunitaire de la plante, ou sur le transport des toxines des champignons ? Cela reste ouvert. » Ce travail a un intérêt scientifique en soi, en éclairant le fonctionnement des communautés fongiques des plantes, qui deviennent parfois pathologiques, une situation fréquente bien au-delà de la viticulture.
En pratique, il pourrait déboucher sur des modèles permettant de prédire les conditions favorables ou défavorables à l’esca selon la météorologie. « En l’absence de traitement curatif, cela ne permettrait pas de protéger la vigne, précise la chercheuse, mais pourrait déboucher sur des conseils à l’encépagement. Selon les conditions, l’agriculteur pourrait recourir à des ceps sensibles à l’esca, comme le Sauvignon Blanc, ou à d’autres plus résistants, par exemple le Merlot. »