Innovations

L’efficacité des EPI surestimée en agriculture

La pratique est parfois loin de la théorie en matière de protection apportée par les EPI, selon une étude française.

Pesticides

Une équipe de chercheurs composée de membres de l’Inserm, de l’Inrae, de l’université de Bordeaux, mais aussi de scientifiques canadiens et brésiliens a publié fin 2019 une étude faisant un état des lieux des connaissances concernant l’efficacité des équipements de protection individuelle (EPI) en agriculture, à savoir les gants, lunettes, masques, et combinaisons spécialisées. Leurs observations, passées globalement inaperçues, sont pourtant instructives, et touchent à la sécurité individuelle des agriculteurs.

Un premier problème soulevé par les chercheurs est le manque de recherche concernant les performances (sont-ils efficaces ?) et la bonne utilisation de ces équipements en conditions réelles (sont-ils portés conformément aux recommandations ?). Dans l’ensemble de la littérature, les auteurs n’ont trouvé que 66 articles consacrés à ces questions, dont certains datent déjà de plusieurs décennies. À titre de comparaison un peu extrême, il y a déjà 24 000 articles disponibles sur la Covid-19 ! Autant dire que la protection des paysans n’intéresse pas énormément la science.

Des EPI souvent trop chers et mal conçus

L’examen de ces 66 articles donne néanmoins quelques raisons de s’inquiéter. En effet, l’efficacité protectrice varie beaucoup selon l’usure (fissuration et porosité croissantes), le mode de nettoyage (type de détergent, etc.), le contexte d’utilisation (rayonnement UV, par exemple) et le mode de manipulation des EPI… De plus, les tests des fabricants ne sont pas effectués avec tous les produits et toutes les formulations (poudres, granules, liquides, pulvérisations….), et certains EPI s’avèrent très peu protecteurs contre certaines formulations.

De plus, beaucoup de données montrent qu’en pratique, les agriculteurs utilisent ces EPI beaucoup moins régulièrement que ce qui est recommandé. Évidemment, ce n’est pas pour le plaisir de s’exposer aux pesticides ou de risquer sa santé. Mais, notent les auteurs, beaucoup d’EPI sont trop chers (en particulier pour être renouvelés à la fréquence recommandée), et mal conçus, car ils provoquent une importante gêne mécanique et surtout thermique (avec de vraies conséquences sur la santé, des évanouissements, etc. en climat chaud) en travail réel. Enfin, les agriculteurs sont sensibles à la peur provoquée chez les riverains par le port des EPI, et préfèrent parfois s’abstenir de les porter à proximité des habitations.

L'efficacité des EPI surestimée par le régulateur

Tous ces biais ne sont pas pris en compte par le régulateur. L’Efsa, l’agence sanitaire européenne, par exemple, considère par défaut que les EPI réduisent de 90 à 95 % l’exposition des agriculteurs. Le problème est que les procédures d’homologation des phytopharmaceutiques se fondent sur ces évaluations optimistes. Certains produits « seraient interdits sans cette supposée protection », avertissent les auteurs, qui réclament beaucoup plus d’études, menées sur les exploitations et en conditions de travail réel, pour que la santé des agriculteurs soit correctement protégée.