L'azote a besoin de matière organique
La matière organique du sol réduit considérablement la pollution générée par la fertilisation azotée
L’azote est un nutriment essentiel pour les plantes, sans doute le plus important de tous, ce qui explique sa place centrale dans les stratégies de fertilisation. Mais l’azote, tout en permettant de nourrir l’humanité, pose de sérieux problèmes climatiques. Noté N par les chimistes (à cause de son ancien nom latin de Nitrogenium), c’est un composé très réactif capable de se combiner à une foule d’autres éléments, selon l’environnement et les microbes présents. Et sa forme climatiquement la pire est l’oxyde nitreux ou protoxyde d’azote ou N2O, aussi connu sous le nom gaz hilarant. Il ne fait pourtant pas rire les climatologues, puisqu’il est 300 fois plus « réchauffant » que le dioxyde de carbone, et est responsable d’environ 6,5 % des émissions humaines, pour les trois quarts via la fertilisation.
Une étude parue en décembre 2022 dans la prestigieuse revue Nature food, signée d’une équipe dirigée par Andrew Neal, du prestigieux centre de recherche agronomique britannique de Rothamstead, vient pourtant de démontrer qu’il est possible de fertiliser en émettant beaucoup moins de protoxyde d’azote. Ce spécialiste reconnu de la microbiologie du sol a en effet démontré que le devenir de l’azote n’était pas le même, selon la quantité de matière organique (que l’on peut assimiler à la quantité de carbone) présente. Ainsi les sols qui reçoivent du fumier (ou dans une moindre mesure du lisier) émettent moitié moins de N2O par rapport aux sols qui reçoivent des granulés synthétiques - granulés dont la production à partir de gaz naturel est en outre très émettrice.
Moitié moins d'émissions de protoxyde d'azote
Par quel prodige la matière organique (par exemple la paille du fumier) parvient-elle à modifier la chimie de l’azote apporté ? Ce qu’a montré l’équipe d’Andrew Neal, c’est qu’augmenter la matière organique favorise des familles de microbes produisant des polymères collants qui forment des agrégats. (Des familles que l'on retrouve aussi dans les prairies et les sols forestiers.) Ces agrégats de particules minérales structurent favorablement le sol, créant un réseau de pores (de cavités) interconnectés par des microconduits, dans lesquels l’air circule . « Ces pores interconnectés dans des sols riches en carbone permettent à l’air de circuler et aux microbes de métaboliser l’azote d’une façon qui réduit les émissions d’oxyde nitreux », écrit le professeur britannique.
Ces microbes (des bactéries et des champignons) fabriquent ainsi des protéines avec l’azote en excédent, permettant à celui-ci de rester dans le sol, combiné au carbone, plutôt que de s’échapper dans l’atmosphère sous forme d’oxyde nitreux, ou bien dans les nappes phréatiques sous forme de nitrates. A contrario, explique le professeur, les sols pauvres en matière organique ne disposent que d’un réseau de pores petits et mal reliés les uns aux autres, favorisant d'autres microbes dont le métabolisme est dit anoxique, qui convertissent abondamment l’azote en oxyde nitreux, car c’est leur façon de trouver de l’énergie en l’absence d’oxygène.
Des pores nombreux et interconnectés dans le sol
Un résultat que l’équipe d’Andrew Neal a confirmé en étudiant les populations microbiennes d’une série de parcelles agricoles sur le site britannique de Broadbalk, connu pour être l’un des plus vieux sites agronomiques expérimentaux du monde : l’historique de fertilisation de chaque parcelle est précisément connu et documenté depuis 1843 pour les parcelles les plus anciennes !
Évidemment, remplacer les granulés par du fumier n’est pas toujours simple. L’agriculture française a évolué dans le sens de la séparation géographique des régions d’élevage et des régions céréalières, créant un problème de transport des matières fertilisantes. En outre, si la demande en viande venait à se réduire, comme certaines tendances le suggèrent, l’approvisionnement en fumier pourrait se compliquer (ce qui plaiderait encore plus pour l’utilisation de boues d’épuration d’origine humaine).
Mais ce qui est certain, c’est que cette étude vient confirmer, avec des arguments climatiques, ce que la science ne cesse de marteler : l’importance de la matière organique du sol, qui permet par ailleurs de réduire spectaculairement l’érosion, et d’accroître la rétention d’eau par le sol. Des atouts essentiels pour l'agriculture d'aujourd'hui, et peut-être encore plus de demain dans un contexte d'accélération du réchauffement climatique.