« Il y a beaucoup de fantasmes à déconstruire »
Éleveur laitier dans la Sarthe, Étienne Fourmont fait partie des agriculteurs pionniers à s’être lancés sur les réseaux sociaux pour parler de son métier. Sa chaîne YouTube, créée en 2018, compte aujourd’hui près de 110 000 abonnés. Dans la continuité de ses vidéos, il a sorti en février dernier son premier livre intitulé Peace & Food dans lequel il cherche à déconstruire, encore et toujours, les idées reçues sur l’agriculture et ceux qui la font vivre.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire des vidéos sur YouTube ?
Ça a commencé grâce aux JA, à l’époque où j’étais administrateur national (2012-2016). En 2013, on nous avait présenté l’outil Twitter à l’occasion d’un conseil d’administration. Mais je n’y étais pas allé tout de suite. Ce n’est qu’en 2015, lorsque mon département a organisé le Congrès au Mans que j’ai commencé à vraiment « twitter » sur les revendications syndicales, les manifestations, etc. Au même moment, l’association L214 est apparue sur les réseaux sociaux avec des messages à charge sur l’élevage. J’ai commencé à leur répondre, mais du fait du nombre limité de caractères avec cet outil, c’était devenu très vite compliqué de développer. J’avais déjà repéré qu’il y avait des agris qui faisaient des vidéos sur YouTube, mais pas beaucoup d’éleveurs. Je me suis dit « pourquoi pas moi » !
Quel est l’objectif ?
J’ai débuté en faisant des vidéos sur des sujets très techniques tels que le bien-être animal, l’insémination ou encore la rumination. Je me suis dit que j’allais filmer mes vaches dans le but de montrer comment elles vivent, ce qu’elles mangent... Je voulais casser tous les préjugés que l’on pouvait entendre du type « les vaches ne mangent que du soja », « les vaches subissent des viols à répétition », etc. Comme nous étions très peu au départ à faire ce genre de vidéos, le nombre d’abonnés est monté en flèche. En parallèle, les médias s’y sont très vite intéressés.
Tout le monde peut-il faire des vidéos ?
Je pense que ce n’est pas fait pour tout le monde. On n’est pas tous à l’aise et formés à la communication. Et puis, il faut bien distinguer les types de communication : celle qui se pratique sur les réseaux sociaux n’est pas la même que lorsque l’on s’adresse à un journaliste ou bien lorsque l’on présente notre métier dans une classe.
À ceux qui aimeraient tenter l’expérience, quels conseils donneriez-vous ?
Les réseaux sociaux, ce n’est pas la vraie vie. Il ne faut pas prendre pour argent comptant ce que vous lisez. Ça peut être violent donc avant de se lancer, il est important de se préparer à cette situation. Les messages « assassin », « pollueur », « tortionnaire », il faut savoir les encaisser, en prenant du recul. Et se dire que la personne qui vous écrit ça n’oserait jamais vous le dire en vrai. Autre point, on peut tout montrer de notre métier, peu importe notre filière, mais à une condition, c’est d’expliquer à chaque fois.
ZNT, pesticides, bassines, suicide… Votre livre Peace & Food aborde plusieurs sujets sensibles. Était-ce la suite logique de vos vidéos ?
Tout à fait. Avec ce livre, j’ai l’idée de toucher un autre public que celui des réseaux sociaux. Je parle d’environnement, de suicide, des conditions de travail… En partant du principe qu’il ne faut pas se voiler la face. Sur l’environnement, oui, on travaille avec la nature tous les jours. Évidemment que notre activité a un impact. Le tout est de l’évaluer au plus juste. L’agriculture de nos grands-parents et même de nos parents a forcément eu des effets néfastes, mais pas aussi catastrophiques que certains voudraient nous faire croire.
De nombreux jeunes pensent que le métier d’agriculteur est difficile. Êtes-vous d’accord ?
Il y a beaucoup de fantasmes à déconstruire. Non, tous les agriculteurs ne travaillent pas plus de 70 heures par semaine. Si vous prenez le cas des céréaliers, par exemple, leur activité est beaucoup plus calme en hiver. Moi qui suis éleveur, j’ai aussi des périodes plus tranquilles. J’ai choisi de ne pas avoir de vêlages en décembre-janvier, j’ai donc plus de temps pour faire autre chose. Je m’accorde aussi du temps après les moissons, avant les ensilages, ou juste après les semis de maïs. Et si en plus, sur notre ferme, on a des associés, alors c’est encore plus simple d’organiser ses vacances ou longs week-ends.
Comment évolue, d’après vous, le regard de la société sur l’agriculture ?
Je trouve qu’il s’est globalement amélioré. Le Covid a permis de remettre en avant l’importance de l’alimentation, d’avoir une agriculture de proximité. En parallèle, les reportages réalisés par les médias sont un peu moins à charge qu’avant. Après, on a toujours cette minorité d’anti-élevage, d’anti-agriculteurs. Et le problème c’est qu’on les entend eux et non pas la majorité silencieuse qui est en soutien des agriculteurs. C’est hyper important de se le rappeler : on est aimés et soutenus par la grande majorité des gens !