Exploiter les propriétés énigmatiques des mélanges variétaux
Une forme inédite de coopération entre les plantes contre leurs agresseurs a été découverte par des chercheurs de l’Inrae, qui en espèrent des retombées agronomiques.
“Les agriculteurs sèment de plus en plus de mélanges variétaux tout à fait indépendamment de nos travaux scientifiques ! Alors, nous essayons de comprendre leurs propriétés... ”, dixit Jean-Benoît Morel, directeur de l’Institut de Santé des Plantes de Montpellier. Il reste modeste lorsqu’il évoque pour JA Mag la genèse de l’étude qu’il a publiée avec ses collègues en septembre 2023 dans la prestigieuse revue scientifique PLOS Biology. Car les interactions qui ont lieu dans les mélanges variétaux sont passionnantes, mais encore très mystérieuses, y compris pour des agronomes chevronnés !
Les enquêtes montrent que les agriculteurs sont en train de se convertir à ces mélanges, désormais ils sont environ 15 % à les semer, un chiffre qui n’était que de 1 % en 2007, pour deux raisons. La première est pratique : il s’agit tout simplement, lorsque deux variétés sont utilisées sur l’exploitation, de ne pas gaspiller, et aussi de simplifier le travail, donc de ne pas forcément vider les semoirs inutilement. La seconde est le fruit d’une observation empirique : les mélanges variétaux sont un peu plus productifs (autour de 4 %) et surtout nettement moins sensibles aux maladies (de l’ordre de 10 % en moyenne).
Des mélanges plus productifs et moins sensibles aux maladies
C’est justement ce “en moyenne” qui intriguait Jean-Benoît Morel et ses collègues, qui se sont penchés sur la résistance aux maladies. Car la moyenne recouvre des variations importantes, puisque la performance va de +40 % à -40 %, certains mélanges dégradant carrément la résistance de la plante ! Les chercheurs ont donc, en laboratoire, testé dans des pots quelque 200 combinaisons de deux variétés différentes de blé et de riz, puis les ont exposés à des champignons pathogènes (rouille et septoriose pour le blé). Et ils ont comparé leur résistance à celle des variétés prises séparément.
Résultat ? “Dans 10 % des cas, le voisinage d’une plante améliorait la capacité de sa voisine à résister à la maladie”, indique le chercheur. Une observation inédite, car il ne s’agit pas ici de l’ effet dit de “dilution” qu’occasionne le mélange. Cet effet protecteur connu vient du fait que le ravageur est ralenti et gêné dans sa propagation par le fait que l’entourage de la plante attaquée est moins hospitalier pour lui. “Mais, ici, il se passe quelque chose de différent", précise Jean-Benoît Morel, qui raconte qu’il a fait refaire toutes les expériences à son étudiante tellement le résultat l’a surpris ! "La plante détecte littéralement la présence d’une voisine d’une autre variété, et modifie sa résistance aux agresseurs, sans que l’on comprenne clairement comment”, précise-t-il.
La plante est modifiée par sa voisine en l’absence d’agresseur
Ce qui est fascinant, c’est que ce changement s’opère en l’absence de toute agression, comme le révèlent les analyses effectuées par les scientifiques. Nous ne sommes pas dans le cas connu où une plante attaquée émet des signaux captés par les voisines, qui ensuite se modifient. “On est proches d’un phénomène observé par exemple chez les criquets, lorsqu’ils deviennent très denses, ils augmentent leur immunité pour se protéger des épidémies”, explique le scientifique. L’on peut considérer qu’il s’agit là d’une forme de coopération, qui accroît l’immunité collective.
Visiblement, cette réaction dépend des gènes présents dans les variétés mélangées. Car dans certains cas, il ne se passe rien, alors que dans les meilleures combinaisons de variétés, la protection peut être accrue de 90 % ! Un chiffre très important, à l’intérêt agronomique évident. "Ces résultats, obtenus en laboratoire, sont en train de se vérifier au champ", indique le chercheur. La priorité à présent va être d’un côté d’identifier les meilleures combinaisons génétiques pour optimiser la protection, combinaisons qui malheureusement ne sont pas forcément les mêmes selon les agresseurs. Et puis de l’autre côté, de comprendre les mécanismes à l'œuvre dans cette nouvelle forme de coopération végétale.